Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/23

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aura été tout son crime. En revanche, le paysan qui aura averti les tirailleurs de l’arrivée du bataillon, si plus tard il est arrêté et convaincu, sera pendu. Il est réputé espion.

Il y a plus. Que le même soldat, que le droit de la guerre protége aujourd’hui dans son service de tirailleur, quitte son uniforme, ses armes, prenne un déguisement, comme faisait Du Guesclin quand il enlevait les châteaux forts des Anglais, et passe dans le camp ennemi pour observer ce qui s’y passe : aussitôt il devient lui-même espion, et s’il est pris, bien que son crime ne soit commis qu’à moitié, on le fusille à l’instant, impitoyablement. Pendant le siége de Sébastopol, un officier de l’armée russe, découvert dans les retranchements de l’armée alliée, où il se livrait à un espionnage héroïque, faillit périr de la sorte. Il ne dut son salut qu’à la vitesse de ses jambes. Je renouvelle ma question : Comment, si le mensonge et l’embuscade sont de droit à la guerre, si toutes les armées pratiquent, les unes à l’égard des autres, l’espionnage, comment l’espionnage est-il traité sur le pied de trahison et d’assassinat ?

J’insiste sur ce point, qui montre d’une manière frappante combien les militaires sont convaincus, au fond de leur âme, de la réalité du droit de la guerre, et quelles ténèbres régnent à ce sujet dans leur conscience. La même chose qu’on punit comme infâme chez un ennemi, en vertu du droit de la guerre, on se la permet à soi-même comme licite et honorable, en vertu du même droit. Je lis dans le Cours d’art militaire de M. Laurillard-Fallot, professeur à l’École militaire de Bruxelles :


« On envoie des hommes intelligents et bien payés, qui, sous prétexte de commerce, de livraisons de grains ou de bestiaux, se mettent en rapport avec les fournisseurs de l’armée ennemie et les chefs de communes frappées de réquisitions. »