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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/236

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seulement la guerre, au lieu de piller et pressurer le peuple conquis, réalise ses bénéfices sous une autre forme. De même qu’aux siècles d’Alexandre et de César le pillage héroïque s’était transformé en conquête, de même la conquête tend à se transformer à son tour en gouvernementalisme.

Préfectures, commissariats, dotations, pots-de-vin, sinécures, traitements, pensions, remplacent les exactions proconsulaires, les dépossessions, la latifundia, les ventes d’esclaves, les confiscations, tributs, fournitures de grains, de fourrages, de bois, etc. C’est surtout au moment de la prise de possession que se font les bons coups. Que de services à créer, d’emplois à distribuer ! Que de promotions ! Quelle bureaucratie ! Et pour les gens d’affaires, que de spéculations ! Voilà la guerre dans sa phase la plus élevée, la guerre avec l’isonomie, sans expropriation et sans pillage.

Un effet de ce système est de faire croître les dépenses de l’État, qu’on devrait appeler de leur véritable nom frais de guerre, à mesure que la hiérarchie se renforce et s’élève, à mesure par conséquent que l’État s’étend, ou ce qui revient au même que le gouvernementalisme se développe. Sous l’empire de Napoléon Ier, qui faisait encore la guerre à l’ancienne mode, l’extension du pouvoir central, son ingérance, étaient loin, malgré la sévérité de l’administration, de ce qu’elles sont devenues depuis. Le budget n’atteignait pas un milliard. Sous la Restauration, la monarchie de juillet, la république de 1848 et le second empire, la hiérarchie politique s’est développée, l’administration centrale s’est fortifiée de tout ce qu’a perdu la vie locale, et le budget de 1860 est prévu à un milliard neuf cent vingt neuf millions. Ce résultat du développement gouvernemental qui caractérise les grandes agglomérations politiques est ce qui cause le plus d’effroi aux petits États.