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Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/327

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services et les produits. En sorte que la justice apparaît comme notre quatrième et dernière fin. Quant à la manière dont se produit la justice économique, en autres termes la juste répartition des services et produits, la guerre nous l’a apprise. C’est toujours la lutte ou concurrence des forces, non plus lutte armée et sanglante, mais lutte de travail et d’industrie, d’après le principe que, comme le héros se fait connaître aux coups, l’ouvrier se juge à l’œuvre.

Ainsi la vie humaine, introduite par la guerre dans la voie de la justice, soumise aux lois du travail, du sacrifice, de la frugalité, de l’équité, peut se définir une ascension de la nature vers l’esprit, ascension qui n’est autre que l’évolution de la liberté même.

Mais l’homme, entraîné par les sens, séduit par la volupté, trompé par l’illusion de la richesse, esclave de son idéalisme, exalté dans l’opinion qu’il a de sa personne, méconnaît sa loi et manque à sa fin. Il méprise le travail ; il ne sait ni modérer ses appétits, ni brider son imagination, ni respecter dans son prochain sa propre dignité ; il entre dans l’arène de la vie avec des inclinations fourvoyées, Spinoza dirait, avec des idées non adéquates. De ce moment la guerre est dépravée ; elle devient suspecte à tous et irrévocablement déloyale. Sous l’aiguillon du paupérisme, la guerre de justicière devient voleuse et assassine : elle a pour but, selon le degré de civilisation, le pillage, le tribut, la dépossession, finalement l’exploitation de l’homme, sans distinction de vainqueurs ni de vaincus. Réduite à l’absurde par cet indigne travestissement de la conquête, la guerre perd tout prestige et devient impossible. Un nouveau problème se pose hors des limites de la juridiction guerrière : c’est le problème économique, dont la solution, en transformant l’antagonisme, donne naissance et réalité à la paix.