Page:Proudhon - La Guerre et la Paix, Tome 2, 1869.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de faute en faute la puissance la mieux établie finit par se perdre. Quels que fussent les griefs de Napoléon contre Alexandre, dès lors qu’il ne pouvait absorber la Russie, ni même l’occuper militairement, il devait s’abstenir de toute invasion. La manière dont a été faite la guerre de Crimée servirait au besoin à justifier cette proposition ; cette guerre, où fut déployée une puissance bien autrement formidable que celle dirigée par Napoléon Ier en 1812, et qui n’avait cependant d’autre but que de contraindre la Russie à la paix en détruisant sa forteresse de Sébastopol, est la critique la plus péremptoire qu’on puisse faire de l’expédition de 1812.

Changeons de sujet. Tout le monde connaît l’histoire, ou le roman, de Judith et du siége de Béthulie. Les Juifs, selon le récit biblique, menacés par une armée d’invasion, se réfugient dans leurs places fortes. Arrivé devant Béthulie, bâtie sur un rocher, et ne pouvant s’en emparer par un coup de main, le général ennemi coupe le canal qui fournissait de l’eau à la ville. Bientôt les assiégés, mourant de soif, sont dans la nécessité de se rendre. Dans cette légende, devenue populaire, on peut voir, au point de vue du droit, l’histoire de tous les blocus. Je n’examine pas s’il y avait raison suffisante de guerre entre les Assyriens et les Hébreux ; j’admets le cas. Je demande seulement si la conduite d’Holopherne était bien selon le droit de la guerre, laquelle, comme dit Cicéron, est une manière de vider les différends par les voies de la force.

— Sans nul doute, répondent les militaires ; Holopherne était ici dans son droit. Si les Juifs voulaient éviter les inconvénients du blocus, ils n’avaient qu’à descendre et accepter la bataille. Tout siége de place a pour but de forcer un ennemi, qui par le fait de sa retraite s’avoue impuissant, mais qui, par l’art de la fortification, entreprend de suppléer à l’infériorité du nombre par la supériorité de