Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/114

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publicains du pouvoir et leurs amis s’étaient singulièrement refroidis. L’intervention en faveur de la Pologne, ou, ce qui revenait au même, la guerre avec l’Europe, leur paraissait être ce qu’elle était en effet, le socialisme universel, la Révolution de l’Humanité par l’initiative des gouvernements. Comme tous les nouveaux-venus aux affaires, ils avaient senti leurs sentiments chevaleresques s’évanouir devant la triste réalité des faits. Dans cette même séance du 15 mai, l’un des hommes les plus honorables du parti, M. Bastide, alors ministre des affaires étrangères, avait déclaré qu’aux yeux de la Commission exécutive, l’affranchissement de la Pologne était une question de souveraineté européenne, sur laquelle la République française n’avait pas qualité de prononcer seule ; et qu’en appeler aux armes sur une affaire de cette nature, c’était se charger d’une guerre inextricable, et recommencer, au profit d’une nation, ce que la Sainte-Alliance avait fait en 1814 au profit d’une dynastie.

Ainsi, sur la question même qui servait de prétexte à la manifestation, la démocratie était divisée ; que serait-ce, quand on s’apercevrait qu’il ne s’agissait pas seulement de la Pologne, mais de l’Europe ? que la révolution européenne et sociale était le but, et l’intervention en Pologne le moyen ? La cause des pétitionnaires était perdue d’avance : il suffisait, pour déterminer une réaction irrésistible, que la pensée du mouvement se manifestât dans toute sa vérité. C’est ce qui ne tarda pas d’arriver.

La manifestation, toute spontanée à son origine, et organisée, à ce qu’il paraît, contre le vœu des chefs de clubs, avait fini par entraîner les notabilités populaires. Blanqui se montre : des esprits effrayés voient en lui le modérateur, que dis-je ? le futur bénéficiaire du mouvement. Barbès, pour conjurer cette dictature menaçante, et croyant déjà tout perdu, se jette dans le flot révolutionnaire. Il s’empare