Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jet de ses méditations, l’être de Dieu, il analysa la foi en Dieu, telle que la lui offrait une période religieuse de six mille ans. En un mot, il considéra dans la religion, non plus une révélation externe et surnaturelle de l’Être infini, mais un phénomène de notre entendement.

Dès ce moment le charme fut rompu : le mystère de la religion fut révélé à la philosophie. Ce que nous cherchons et que nous voyons en Dieu, comme parlait Malebranche, ce n’est point cet être, ou pour parler plus juste, cette entité chimérique, que notre imagination agrandit sans cesse, et qui, par cela même qu’elle doit être tout d’après la notion que s’en fait notre esprit, ne peut dans la réalité être rien : c’est notre propre idéal, l’essence pure de l’Humanité.

Ce que le théologien poursuit, à son insu, dans le dogme qu’il enseigne, ce ne sont pas les mystères de l’infini : ce sont les lois de notre spontanéité collective et individuelle. L’âme humaine ne s’aperçoit point d’abord par la contemplation réfléchie de son moi, ainsi que l’entendent les psychologues ; elle s’aperçoit hors d’elle-même, comme si elle était un être différent placé vis-à-vis d’elle : c’est cette image renversée qu’elle appelle Dieu.

Ainsi, la morale, la justice, l’ordre, les lois, ne sont plus choses révélées d’en haut, imposées à notre libre arbitre par un soi-disant créateur, inconnu, inintelligible ; ce sont choses qui nous sont propres et essentielles comme nos facultés et nos organes, comme notre chair et notre sang. En deux mots : Religion et Société sont termes synonymes ; l’Homme est sacré pour lui-même comme s’il était Dieu. Le Catholicisme et le Socialisme, identiques pour le fond, ne diffèrent que par la forme : ainsi s’expliquent à la fois, et le fait primitif de la croyance en Dieu, et le progrès irrécusable des religions.

Or, ce que Kant a fait il y a près de soixante ans pour