Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/172

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point à celle de 89-92 ; qu’il fallait abandonner les vieux errements ; mettre de côté les utopies, et entrer au plus vite dans le positif des questions. Inutiles efforts ! Le Représentant du Peuple n’obtint qu’un succès d’estime : il conquit sa place au soleil de la publicité ; mais, quoi qu’il eût prévu, il n’eut pas le crédit de rien obtenir, de rien empêcher.

Ce fut vers cette époque que j’entrai en rapport avec M. de Girardin. Cet éminent écrivain ne me démentira pas, aujourd’hui surtout que sa théorie de l’impôt établit entre nous tant de points communs : il approuvait mes idées sur le crédit ; mais, suivant ses inclinations d’homme d’État, et n’attendant rien que de l’autorité, il se refusait à toute initiative venant du peuple. — Une heure de pouvoir, disait-il, vaut mieux que dix ans de journalisme. Ces mots révèlent le secret de la politique et des oscillations de M. de Girardin.

Par ses théories administratives et financières, M. de Girardin est un pur socialiste : on dirait même qu’il a emprunté à Pierre Leroux l’idée de son ministère trine et un. Pour M. de Girardin la question économique est tout, la politique fort peu de chose. S’il fait grand cas du gouvernement, il est sceptique quant à la forme : peu lui importe la souveraineté du peuple ou le droit divin, pourvu qu’en résultat le gouvernement fasse les affaires de la nation. Mais cette indifférence politique n’altère point en M. de Girardin l’esprit gouvernemental : sous ce rapport, il marche de pair avec le communisme aussi bien qu’avec la doctrine. Aussi, comme il ne cherche point ce que veut la raison générale, mais seulement ce qui paraît le plus probable et le meilleur comme initiative du pouvoir, comme toutes ses solutions sont des recettes, et que les données du problème changent sans cesse, il arrive, malgré la prudence et la subtilité de l’écrivain, qu’il retombe toujours en quelque contradiction,