Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/276

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nent en échec. On dirait déjà la fermentation vermineuse du cadavre. Que parlez-vous de liberté, d’honneur, de patrie ? La France, comme État, est morte : Rome, l’Italie, la Hongrie, la Pologne, le Rhin, agenouillés sur son cercueil, récitent son De profundis ! Tout ce qui fit autrefois la force et la grandeur de la nation française, monarchie et République, Église et parlement, bourgeoisie et noblesse, gloire militaire, sciences, lettres, beaux-arts, tout est mort ; tout a été fauché comme une vendange, et jeté dans la cuve révolutionnaire. Gardez-vous d’arrêter le travail de décomposition ; n’allez pas mêler avec la boue et le marc la liqueur vivante et vermeille. Ce serait tuer une seconde fois Lazare dans sa tombe.

Depuis près de vingt ans que nous avons commencé de mourir, que de fois nous avons cru toucher au terme de notre métamorphose ! Pas un accident qui n’ait été pris par nous pour le signal de la résurrection, pas le plus petit bruit qui n’ait sonné à nos oreilles comme la trompette du jugement. Cependant les années se suivent, et le grand jour n’arrive pas. C’est comme au moyen-âge la mystification des millénaires. Pologne, Belgique, Suisse, Ancône, quadruple alliance, droit de visite, sociétés secrètes, machines infernales, coalitions parlementaires ; puis Beyrouth, Cracovie, Pritchard, les mariages espagnols, l’emprunt russe ; puis la disette, la réforme électorale, le Sunderbund, et, par-dessus tout, la corruption !... Enfin, Révolution de février, spectacle en douze tableaux, suffrage universel, réaction ; et puis encore, et puis toujours, corruption ! Que d’occasions de nous faire voir, si un reste de cœur nous battait ! que de motifs d’agir, si nous étions un peuple ! Parfois, nous avons essayé de nous lever.... le froid de la mort nous a recloués dans notre cercueil. Nous avons jeté nos dernières flammes entre les pots et les verres : les toasts des dynastiques, des démocrates, des socialistes, sont toute