Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/295

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Le droit d’insurrection, avons-nous dit, ne peut, dans un pays où le suffrage universel a commencé de s’organiser, être reconnu à la minorité contre la majorité. Quelque arbitraires que soient les décisions de celles-ci, si flagrante que paraisse la violation du pacte, une majorité peut toujours nier qu’elle le viole : ce qui ramène le différend à une simple question d’appréciation, et ne laisse, par conséquent, aucun prétexte à la révolte. Et quand même la minorité se prévaudrait de certains droits antérieurs ou supérieurs à la Constitution, que la majorité, selon elle, aurait méconnus, il serait facile à celle-ci d’invoquer à son tour d’autres droits antérieurs ou supérieurs, tels que celui du salut public, en vertu desquels elle légitimerait sa volonté : si bien qu’en définitive il faudrait toujours en revenir à une solution par le vote, à la loi du nombre. Admettons donc, comme démontrée, cette proposition : Entre la minorité et la majorité des citoyens, manifestées constitutionnellement par le suffrage universel, le conflit par les armes est illégitime.

Cependant une minorité ne peut pas être à la merci d’une majorité ; la justice, qui est la négation de la force, veut que la minorité ait ses garanties. Car il peut arriver, par l’effet des passions politiques et de l’opposition des intérêts, qu’à la suite d’un acte du pouvoir la minorité affirme que la Constitution est violée, tandis que la majorité le nie ; puis, que le peuple étant appelé, comme juge suprême, à prononcer en dernier ressort sur le dissentiment, la majorité des citoyens se joigne à la majorité des représentants, de sorte que la vérité et la justice se trouvent, de propos délibéré, et par un égoïsme intraitable, foulées aux pieds par ceux-là mêmes qui, d’après la Constitution, devraient les défendre. Alors la minorité, ouvertement opprimée, n’est plus un parti d’opposition politique et parlementaire : c’est un parti proscrit, toute une classe de citoyens mise hors la