Page:Proudhon - Les Confessions d'un révolutionnaire.djvu/37

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tions spontanées, modifie, réforme, absorbe les projets des politiques et les doctrines des philosophes, et qui, créant sans cesse une réalité nouvelle, change incessamment la base de la politique et de la philosophie.

L’absolutisme, dominant en France jusque vers la fin du dernier siècle, est depuis cette époque en décroissance continue ; — le doctrinarisme, manifesté avec un certain éclat à la suite de la révolution de juillet, a passé avec le règne de dix-huit ans. Quant au jacobinisme et au socialisme, le premier, réchauffé par les romanciers révolutionnaires, a reparu en février, pour refouler la révolution dans les journées des 17 mars, 16 avril, 15 mai, et s’abîmer dans celle du 15 juin ; — le second, après avoir traîné vingt ans sa mystique existence, est tout près de se dissoudre. Il n’y a plus, à l’heure où j’écris, de partis en France ; il ne reste, sous l’étendard de la République, qu’une coalition de bourgeois ruinés contre une coalition de prolétaires mourant de faim. La misère commune aura produit ce que n’avait pu faire la raison générale : en détruisant la richesse, elle aura détruit l’antagonisme.

Ce que je viens de dire des partis qui divisent primordialement toute société, n’est encore qu’une définition : eh bien ! c’est déjà toute l’histoire. C’est la philosophie même du progrès, la mort du mysticisme social, finis theologiæ ! Que le sceptique et l’inspiré disputent à perte de vue sur la valeur et la légitimité de la raison humaine, qu’importe leur doute, si la raison nous impose fatidiquement ses formules ? Que nous importe de savoir que nous pourrions n’être pas hommes ? C’est le privilège de la raison, c’est sa misère, si l’on veut, de ramener à des idées simples et lucides les phénomènes les plus gigantesques, les plus embrouillés de la civilisation et de la nature. De même que les plus grands fleuves ne sont que des ruisseaux à leur source, de même, pour la raison du philosophe, les révolutions les plus terribles