Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/146

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la supériorité de combinaisons pour d’autres inaccessibles, la priorité des renseignements, sera-t-il défendu d’associer, contre les hasards vulgaires, ces puissances irrésistibles, le capital et le talent, comme disait Fourier.

Non certes : nous sommes toujours dans les termes de la probité légale.

Au-dessus des joueurs gros et petits, agiotant au jour le jour, — qui avec la probabilité plus ou moins grande d’un agio en sus de l’intérêt de ses fonds, qui avec la certitude filiale de sa perte, — s’élèvent l’homme à millions et l’homme à idées, le juif Shylock et l’industrieux Figaro, ceux que l’union de leur fortune et de leur génie place à la tête de la spéculation. Car, nous l’avons dit, le monde spéculant forme une société complète, ayant, de même que le commerce et l’industrie, sa haute finance, sa bourgeoisie et son prolétariat. Inutile d’ajouter que la répartition des profits et des charges ne s’y fait pas autrement que dans le champ du travail.

Shylock est d’origine plébéienne. La source de sa fortune, c’est quelque calamité publique. Fournisseur, espion, servant, trahissant à la fois toutes les causes, il a grandi au milieu de la détresse de ses concitoyens ; il s’est élevé sur des cadavres.

« Des aventuriers anglais des Indes orientales avaient gagné des sommes prodigieuses en peu de mois. Revenus dans la métropole, ils bâtissaient des habitations magnifiques où le faste tenait trop souvent lieu de goût ; ils faisaient hausser le prix de tous les articles de consommation. En face, on les saluait jusqu’à terre ; derrière eux chacun tremblait. On en racontait des histoires épouvantables ; et le paysan, tout à la fois malicieux et craintif, frémissait de tous ses membres au passage du lourd carrosse où se rengorgeaient ces hommes, qui n’avaient acquis leurs richesses qu’en foulant aux pieds les lois de l’humanité. Il n’y a pas plus de vingt ans, on racontait à l’auteur de cet ouvrage que lord Clive avait sous son lit une boîte dans laquelle étaient entassées toutes les pièces constatant ses crimes, et qu’il ne s’était suicidé que parce que sa conscience ne lui permettait plus d’en supporter l’écrasant souvenir. »

« Fils d’un batelier, obligé, dans sa jeunesse, de dîner sur le bout d’un comptoir, avec un journal pour nappe, Thomas Guy ne