Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/151

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« La première mystification politique dont on ait gardé le souvenir à la Bourse eut lieu sous la reine Anne. Un beau jour, un homme bien vêtu apparut sur la route royale, galoppant à toute bride. Prodigue de sa monture et de ses éperons, il faisait ouvrir toutes les barrières devant lui et annonçait à haute voix la mort subite de la reine. La nouvelle vola de l’orient au couchant, du midi au septentrion. Rapide comme un feu follet, elle atteignit la ville en traversant les solitudes où l’on voit se dresser aujourd’hui tant de palais. Les fonds tombèrent avec une rapidité proportionnée à l’importance de la nouvelle. »

« De toutes les fausses nouvelles, aucune ne fut plus fréquemment répandue ni plus favorablement accueillie que celle de la mort de Napoléon. Il y eut, entre autres, une occasion dans laquelle ce bruit fut universellement accrédité. Lord Grandville reçut un message qui la lui annonçait et qui en précisait toutes les circonstances. Personne n’éleva de doutes, les fonds haussèrent, et la nouvelle se répandit partout. L’histoire mise en circulation avait un certain caractère romanesque tout à fait en harmonie avec les actes de la vie du héros dont elle révélait la fin. On disait que Napoléon, ayant réuni un conseil de guerre auquel il avait appelé un des chefs du désert, qui ne lui avait témoigné quelque attachement que pour mieux assurer sa vengeance, ce barbare l’avait assassiné en plein conseil.

« Il est digne de remarque que cette frauduleuse invention ne fut pas imputée aux gens de Bourse, mais à deux spéculateurs d’État, assistés par des membres de la Chambre des communes. Bien que les habitués de la Bourse fussent innocents de cette supercherie, ils n’en supportèrent pas moins les conséquences qui résultèrent de la fluctuation des fonds, et il y en eut plusieurs de ruinés par l’ingénieuse gentillesse que s’étaient permise les spéculateurs d’État et les membres de la Chambre basse. » (Bourse de Londres, passim.)

Qui ne se rappelle le fameux message du Tartare sur la prise de Sébastopol ! Les souverains se complimentèrent ; l’Europe entière fut dupe vingt-quatre heures.

Lorsque Shylock et Figaro se coalisent dans une affaire, on peut s’attendre à une râfle complète.

« Le capital d’une compagnie de mines fut partagé entre cinquante propriétaires, qui déployèrent, dans leurs avertissements au public, tout ce que l’art du puff a de plus ignoble. Ils annoncè-