d’ouvriers engagés dans une même entreprise, moins leurs mutineries sont à craindre. Où iraient-ils ? La chair à machines ne manque pas plus que la chair à canon. Que deviennent, dans l’association ainsi faite, la responsabilité du travailleur, garantie d’une bonne et prompte exécution ? son individualité, stimulant qui le pousse à perfectionner son état ? sa liberté, conquête d’il y a soixante ans, qui laisse à l’apprenti l’espoir de devenir maître, ou tout au moins compagnon, et, dans tous les cas, la certitude de vivre indépendant du fruit de son labeur ?
Asservissement de l’ouvrier à la machine, du commanditaire à l’idée, voilà l’association telle que l’industrialisme l’a faite. Ce n’est plus l’union libre des volontés et des intelligences, comme l’avait rêvée le législateur civil, pour l’exploitation en commun d’une chose et le partage équitable des produits ; c’est la subalternisation des âmes au fatalisme de la spéculation et de ses machines, et malheur à qui n’aura pas su s’y réserver la belle place, la bonne part ! Il n’a rien à attendre, ni pour le corps ni pour l’âme, de ses prétendus associés : il sera dévoré par le monstre.
Contrairement à ce système, destitué de tout élément moral, qui ne s’adresse qu’au capital et à la main-d’œuvre, et dont le résultat invariable est de soumettre l’esprit à la matière, quelques-uns, exagérant encore le principe de la communauté et de l’indivision, prenant l’agglomération pour l’union, la promiscuité de l’atelier pour la fraternité, ont prétendu trouver, dans cette caricature de la famille, la loi de l’association. Pour eux, la solidarité a dû être non-seulement réelle, mais personnelle, universelle, absolue. Ils se sont épris d’une belle passion pour le travail en commun, et ils en ont voulu faire rien de moins qu’un culte, une religion. Quiconque s’isolait et s’obstinait à travailler seul était impie. Ce n’était même point assez de s’associer pour la vente et l’achat des matières et des produits : il fallait habiter l’atelier social, afin de rester constamment sous l’œil vigilant des frères. Nul ne devait plus se mêler d’affaires en son nom sous peine d’être flétri comme égoïste ; tout devait se faire par délégation.