Page:Proudhon - Manuel du Spéculateur à la Bourse, Garnier, 1857.djvu/46

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était à 22 fr. — Mais ce qu’on a beaucoup moins remarqué, c’est que la spéculation ne fut jamais entièrement ralliée à Napoléon : le taux le plus élevé de la Bourse, pendant la période impériale, fut celui du 10 mars 1810, 88 fr. 90 cent., soit 11 fr. 10 cent, au-dessous du pair.

Le 29 mars 1814, l’empereur se débattait dans les plaines de la Champagne et tenait encore en échec la coalition victorieuse : il est achevé par la Bourse. Le 5 0/0 à 45 fr. marque sa réprobation et amène sa chute ; le 31, la proclamation des alliés est accueillie par une hausse de 2 fr. Paris a capitulé, et le conquérant abattu va signer son abdication à Fontainebleau. En moins d’un an, malgré la présence des armées étrangères, les fonds publics auront regagné tout ce qu’ils avaient perdu depuis le 10 mars 1810 ; le 5 mars 1815, ils seront cotés à 88 fr.

Quinze jours plus tard, le 20 mars, Bonaparte, échappé de l’île d’Elbe, rentre aux Tuileries : le baromètre bursal marque 20 fr. de baisse. Quelle puissance tiendrait devant une pareille manifestation de la pensée économique ? Certes, ce n’est pas la Bourse de Paris qui a fait perdre la bataille de Waterloo ; mais on peut dire qu’elle a donné cœur à l’ennemi. C’est elle qui lui a révélé que si le soldat, l’ouvrier, le fonctionnaire étaient pour l’empereur, le capital, l’industrie, le commerce, la propriété, la spéculation, la bourgeoisie étaient contre lui. Sait-on ce qu’a pesé dans la balance du destin cette bourse du 20 mars ? Le 18 juin, elle était à 53 fr. ; le 20, à la première nouvelle du désastre, elle monte à 55 ; le 22, le bruit se répandant que l’empereur abdique pour la deuxième fois, elle est à 60. La cote suit le grand capitaine dans ses marches et contre-marches, pour le condamner s’il triomphe, pour l’accabler s’il est défait.

La Spéculation ne se pique ni de patriotisme ni de gloire : elle ne connaît pas le point d’honneur, pas plus que la pitié. Quel cœur français ne frémit encore au souvenir de nos blessures de 1815, des misères de nos soldats et des insolences de l’étranger ? La Bourse obéit à d’autres considérations. Elle pense que la chute de Bonaparte, achetée même au prix de la déchéance nationale, de l’occupation des coa-