Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/115

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Personne n’ignore quelles difficultés rencontre la conversion d’une terre inculte en terre labourable et productive : ces difficultés sont telles que le plus souvent l’homme isolé périrait avant d’avoir pu mettre le sol en état de lui procurer la moindre subsistance. Il faut pour cela les efforts réunis et combinés de la société, et toutes les ressources de l’industrie. M. Ch. Comte cite à ce sujet des faits nombreux et authentiques, sans se douter un moment qu’il amoncelle des témoignages contre son propre système.

Supposons qu’une colonie de vingt ou trente familles s’établisse dans un canton sauvage, couvert de broussailles et de bois, et dont, par convention, les indigènes consentent à se retirer. Chacune de ces familles dispose d’un capital médiocre, mais suffisant, tel enfin qu’un colon peut le choisir : des animaux, des graines, des outils, un peu d’argent et des vivres. Le territoire partagé, chacun se loge de son mieux et se met à défricher le lot qui lui est échu. Mais, après quelques semaines de fatigues inouïes, de peines incroyables, de travaux ruineux et presque sans résultat, nos gens commencent à se plaindre du métier ; la condition leur paraît dure ; ils maudissent leur triste existence.

Tout à coup, l’un des plus avisés tue un porc, en sale une partie, et, résolu de sacrifier le reste de ses provisions, va trouver ses compagnons de misère. Amis, leur dit-il d’un ton plein de bienveillance, quelle peine vous prenez pour faire peu de besogne et pour vivre mal ! Quinze jours de travail vous ont mis aux abois !… Faisons un marché dans lequel tout sera profit pour vous ; je vous offre la pitance et le vin ; vous gagnerez par jour tant ; nous travaillerons ensemble, et, vive Dieu ! mes amis, nous serons joyeux et contents !

Croit-on que des estomacs délabrés résistent à une pareille harangue ? Les plus affamés suivent le perfide invitateur : on se met à l’œuvre ; le charme de la société, l’émulation, la joie, l’assistance mutuelle doublent les forces, le travail avance à vue d’œil ; on dompte la nature au milieu des chants et des ris ; en peu de temps le sol, est métamorphosé ; la terre ameublie n’attend plus que la semence. Cela