Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/191

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vilége au bénéfice du fonctionnaire, et cela pour plusieurs raisons, toutes également péremptoires.

1o La rareté du génie n’a point été, dans les intentions du créateur, un motif pour que la société fût à genoux devant l’homme doué de facultés éminentes, mais un moyen providentiel pour que chaque fonction fût remplie au plus grand avantage de tous.

2o Le talent est une création de la société bien plus qu’un don de la nature ; c’est un capital accumulé, dont celui qui le reçoit n’est que le dépositaire. Sans la société, sans l’éducation qu’elle donne et ses secours puissants, le plus beau naturel resterait, dans le genre même qui doit faire sa gloire, au-dessous des plus médiocres capacités. Plus vaste est le savoir d’un mortel, plus belle son imagination, plus fécond son talent, plus coûteuse aussi son éducation a été, plus brillants et plus nombreux furent ses devanciers et ses modèles, plus grande est sa dette. Le laboureur produit au sortir du berceau et jusqu’au bord de la tombe : les fruits de l’art et de la science sont tardifs et rares, souvent l’arbre périt avant qu’il mûrisse. La société, en cultivant le talent, fait un sacrifice à l’espérance.

3o La mesure de comparaison des capacités n’existe pas : l’inégalité des talents n’est même, sous des conditions égales de développement, que la spécialité des talents.

4o L’inégalité des traitements, de même que le droit d’aubaine, est économiquement impossible. Je suppose le cas le plus favorable, celui où tous les travailleurs ont fourni leur maximum de production : pour que la répartition des produits entre eux soit équitable, il faut que la part de chacun soit égale au quotient de la production divisée par le nombre des travailleurs. Cette opération faite, que reste-t-il pour parfaire les traitements supérieurs ? absolument rien.

Dira-t-on qu’il faut lever une contribution sur tous les travailleurs ? Mais alors leur consommation ne sera plus égale à leur production, le salaire ne payera pas le service productif, le travailleur ne pourra pas racheter son produit, et nous retomberons dans toutes les misères de la propriété. Je ne parle pas de l’injustice faite au travailleur dépouillé,