Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/210

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L’industriel C, marchand de chapeaux, a-t-il droit de forcer D son voisin, aussi marchand de chapeaux, à fermer sa boutique et à cesser son commerce ? — Pas le moins du monde.

Mais C veut gagner 1 franc par chapeau, tandis que D se contente de 50 centimes ; il est évident que la modération de D nuit aux prétentions de C : celui-ci a-t-il droit d’empêcher le débit de D ? — Non, assurément.

Puisque D est maître de vendre ses chapeaux à 50 centimes meilleur marché que C, à son tour C est libre de diminuer les siens de 1 franc. Or D est pauvre, tandis que C est riche ; tellement qu’au bout d’un ou deux ans, D est ruiné par cette concurrence insoutenable, et C se trouve maître de toute la vente. Le propriétaire D a-t-il quelque recours contre le propriétaire C ? peut-il former contre lui une action en revendication de son commerce, de sa propriété ? — Non, car D avait le droit de faire la même chose que C, s’il avait été plus riche.

Par la même raison, le grand propriétaire A peut dire au petit propriétaire B, vends-moi ton champ, sinon tu ne vendras pas ton blé : et cela, sans lui faire le moindre tort, sans que celui-ci ait droit de se plaindre. Si bien que moyennant une volonté efficace, A dévorera B, par cette seule raison que A est plus grand que B. Ainsi ce n’est point par le droit de propriété que A et C auront dépouillé B et D, c’est par le droit de la force. Par le droit de propriété les deux aboutissants A et B, de même que les négociants C et D, ne se pouvaient rien ; ils ne pouvaient ni se déposséder ni se détruire, ni s’accroître aux dépens l’un de l’autre : c’est le droit du plus fort qui a consommé l’acte d’envahissement.

Mais c’est aussi par le droit du plus fort que le manufacturier obtient sur les salaires la réduction qu’il demande, que le négociant riche et le propriétaire approvisionné vendent leurs produits ce qu’ils veulent. L’entrepreneur dit à l’ouvrier : Vous êtes maîtres de porter ailleurs vos services, comme je le suis de les accepter ; je vous offre tant. — Le marchand dit à la pratique : C’est à prendre ou à laisser ;