Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/232

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D’après le même principe, l’inégalité des salaires ne peut être admise dans la législation sous prétexte d’inégalité de talents, parce que la répartition des biens relevant de la justice est du ressort de l’économie, non de celui de l’enthousiasme.

Enfin, en ce qui concerne les donations, testaments et successions, la société, ménageant à la fois les affections familiales et ses propres droits, ne doit pas permettre que l’amour et la faveur détruisent jamais la justice ; et tout en se plaisant à croire que le fils, depuis longtemps associé aux travaux de son père, est plus capable qu’un autre d’en poursuivre la tâche ; que le citoyen surpris par la mort dans l’accomplissement de son œuvre saura, par un goût naturel et de prédilection pour son ouvrage, désigner son plus digne successeur ; tout en laissant à l’héritier discerner par plusieurs le droit d’opter entre divers héritages, la société ne peut tolérer aucune concentration de capitaux et d’industrie au profit d’un seul homme, aucun accaparement du travail, aucun envahissement[1].

  1. La justice et l’équité n’ont jamais été comprises.

    « Supposons qu’il y ait à partager ou à distribuer entre Achille et Ajax un butin de 12 pris sur l’ennemi. Si les deux personnes étaient égales, le butin devrait être aussi arithmétiquement égal. Achille aurait 6, Ajax 6 ; et si l’on suivait cette égalité arithmétique, Thersite lui-même aurait une part égale à celle d’Achille, ce qui serait souverainement injuste et révoltant. Pour éviter cette injustice, comparons la valeur des personnes, afin de leur donner des parts proportionnellement à leur valeur. Supposons que la valeur d’Achille soit double de celle d’Ajax : la part du premier sera 8, celle d’Ajax 4. Il n’y aura pas égalité arithmétique, mais égalité proportionnelle. C’est cette comparaison des mérites, rationum, qu’Aristote appelle justice distributive ; elle a lieu selon la proportion géométrique. » (Toullier, Droit français selon l’ordre du Code.)

    Achille et Ajax sont-ils associés, ou ne le sont-ils pas ? Toute la question est là. Si Achille et Ajax, loin d’être associés, sont eux-mêmes au service d’Agamemnon qui les solde, il n’y a rien à dire à la règle d’Aristote : le maître qui commande des esclaves peut promettre double ration d’eau-de-vie à qui fera double corvée. C’est la loi du despotisme, c’est le droit de la servitude. Mais si Ajax et Achille sont associés, ils sont égaux. Qu’importe qu’Achille soit fort comme quatre, et Ajax seulement fort comme deux ? celui-ci peut