Page:Proudhon - Qu’est-ce que la propriété.djvu/269

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caractère et les talents naturels des habitants, etc., dans des proportions si justes, si savantes, si bien combinées, qu’aucun lieu ne présente jamais ni excès ni défaut de population, de consommation et de produit. Là commence la science du droit public et de droit privé, la véritable économie politique. C’est aux jurisconsultes, dégagés désormais du faux principe de la propriété, de décrire les nouvelles lois, et de pacifier le monde. La science et le génie ne leur manquent pas ; le point d’appui leur est donné[1].

J’ai accompli l’œuvre que je m’étais proposée ; la propriété

  1. De tous les socialistes modernes, les disciples de Fourier m’ont paru longtemps les plus avancés et presque les seuls dignes de ce nom. S’ils avaient su comprendre leur tâche, parler au peuple, éveiller les sympathies, se taire sur ce qu’ils n’entendent pas ; s’ils avaient élevé des prétentions moins orgueilleuses et montré plus de respect pour la raison publique, peut-être la réforme serait-elle, grâce à eux commencée. Mais comment ces réformateurs si déterminés sont-ils sans cesse à genoux devant le pouvoir et l’opulence, c’est-à-dire devant ce qu’il y a de plus anti-réformiste ? Comment, dans un siècle raisonneur, ne comprennent-ils pas que le monde veut être converti par raison démonstrative, non par des mythes et des allégories ? Comment, implacables adversaires de la civilisation, lui empruntent-ils cependant ce qu’elle a produit de plus funeste : propriété, inégalité de fortune et de rangs, goinfrerie, concubinage, prostitution, que sais-je ? théurgie, magie et diablerie ? Pourquoi ces interminables déclamations contre la morale, la métaphysique, la psychologie, quand l’abus de ces sciences, auxquelles ils n’entendent rien, fait tout leur système ? Pourquoi cette manie de diviniser un homme dont le principal mérite fut de déraisonner sur une foule de choses qu’il ne connaissait que de nom, dans le plus étrange langage qui fut jamais ? Quiconque admet l’infaillibilité d’un homme, devient par là même incapable d’instruire les autres ; quiconque fait abnégation de sa raison, bientôt proscrira le libre examen. Les phalanstériens ne s’en feraient pas faute, s’ils étaient les maîtres. Qu’ils daignent enfin raisonner, qu’ils procèdent avec méthode, qu’ils nous donnent des démonstrations, non des révélations, et nous les écouterons volontiers : puis qu’ils organisent l’industrie, l’agriculture, le commerce ; qu’ils rendent attrayant le travail, honorables les plus humbles fonctions, et nos applaudissements leur sont acquis. Surtout, qu’ils se défassent de cet illuminisme qui leur donne un air d’imposteurs ou de dupes, beaucoup plus que de croyants et d’apôtres.