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Quelque système que nous embrassions sur la cause de la pesanteur et sur la figure de la terre, la physique du globe n’en souffre pas ; et quant à nous, notre économie sociale n’en peut retirer ni profit ni dommage. Mais c’est en nous et par nous que s’accomplissent les lois de notre nature morale : or, ces lois ne peuvent s’exécuter sans notre participation réfléchie, partant, sans que nous les connaissions. Si donc notre science des lois morales est fausse, il est évident que tout en voulant notre bien nous ferons notre mal ; si elle n’est qu’incomplète, elle pourra suffire quelque temps à notre progrès social, mais à la longue elle nous fera faire fausse route, et enfin nous précipitera dans un abîme de calamités.

C’est alors que de plus hautes connaissances nous deviennent indispensables, et, il faut le dire à notre gloire, il est sans exemple qu’elles aient jamais fait défaut ; mais c’est alors aussi que commence une lutte acharnée entre les vieux préjugés et les idées nouvelles. Jours de conflagration et d’angoisse ! On se reporte aux temps où, avec les mêmes croyances, avec les mêmes institutions, tout le monde semblait heureux : comment accuser ces croyances, comment proscrire ces institutions ? On ne veut pas comprendre que cette période fortunée servit précisément à développer le principe de mal que la société recélait ; on accuse les hommes et les dieux, les puissants de la terre et les forces de la nature. Au lieu de chercher la cause du mal dans sa raison et dans son cœur, l’homme s’en prend à ses maîtres, à ses rivaux, à ses voisins, à lui-même ; les nations s’arment, s’égorgent, s’exterminent, jusqu’à ce que, par une large dépopulation, l’équilibre se rétablisse, et que la paix renaisse des cendres des combattants. Tant il répugne à l’humanité de toucher aux coutumes des ancêtres, de changer les lois données par les fondateurs des cités, et confirmées par la fidélité des siècles.

Nihil motum ex antiquo probabile est : Défiez-vous de toute innovation, s’écriait Tite-Live. Sans doute il vaudrait mieux pour l’homme n’avoir jamais à changer : mais quoi ! s’il est né ignorant, si sa condition est de s’in-