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les donations, les échanges ; d’autres, comme les priviléges de naissance et de dignité, créations illégitimes de l’ignorance et de la force brutale, furent autant de causes qui empêchèrent l’égalité absolue. Mais le principe n’en demeura pas moins le même : l’égalité avait consacré la possession, l’égalité consacra la propriété.

Il fallait au laboureur un champ à semer tous les ans : quel expédient plus commode et plus simple pour les barbares, au lieu de recommencer chaque année à se quereller et à se battre, au lieu de voiturer sans cesse, de territoire en territoire, leur maison, leur mobilier, leur famille, que d’assigner à chacun un patrimoine fixe et inaliénable ?

Il fallait que l’homme de guerre, au retour d’une expédition, ne se trouvât pas dépossédé par les services qu’il venait de rendre à la patrie, et qu’il recouvrât son héritage : il passa donc en coutume que la propriété se conserve par la seule intention, nudo animo ; qu’elle ne se perd que du consentement et du fait du propriétaire.

Il fallait que l’égalité des partages fût conservée d’une génération à l’autre, sans qu’on fût obligé de renouveler la distribution des terres à la mort de chaque famille : il parut donc naturel et juste que les enfants et les parents, selon le degré de consanguinité ou d’affinité qui les liait au défunt, succédassent à leur auteur. De là, en premier lieu, la coutume féodale et patriarcale de ne reconnaître qu’un seul héritier, puis, par une application toute contraire du principe d’égalité, l’admission de tous les enfants à la succession du père, et, tout récemment encore parmi nous, l’abolition définitive du droit d’aînesse.

Mais qu’y a-t-il de commun entre ces grossières ébauches d’organisation instinctive et la véritable science sociale ? Comment ces mêmes hommes, qui n’eurent jamais la moindre idée de statistique, de cadastre, d’économie politique, nous donneraient-ils des principes de législation ?

La loi, dit un jurisconsulte moderne, est l’expression d’un besoin social, la déclaration d’un fait : le législateur ne la fait pas, il la décrit. Cette définition n’est point exacte : la loi est la règle selon laquelle les besoins sociaux doi-