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Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/215

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riches, intelligents, généreux, ont construit, aux applaudissements du public, ce qu’on nomme des bigattières (de bigatti, ver à soie). » — (M. de Sismondi.)

Et puis, demandez-vous, est-ce que ces éleveurs de vers à soie, ces fabricants de draps noirs et de chapeaux, vont perdre leur travail ? — Justement : on leur prouvera même qu’ils y ont intérêt, vu qu’ils pourront racheter les mêmes produits à moins de frais qu’ils ne les fabriquent. Voilà ce que c’est que la concurrence.

La concurrence, avec son instinct homicide, enlève le pain à toute une classe de travailleurs, et elle ne voit là qu’une amélioration, une économie : — elle dérobe lâchement un secret, et elle s’en applaudit comme d’une découverte ; — elle change les zones naturelles de la production au détriment de tout un peuple, et elle prétend n’avoir fait autre chose qu’user des avantages de son climat. La concurrence bouleverse toutes les notions de l’équité et de la justice ; elle augmente les frais réels de la production en multipliant sans nécessité les capitaux engagés, provoque tour à tour la cherté des produits et leur avilissement, corrompt la conscience publique en mettant le jeu à la place du droit, entretient partout la terreur et la méfiance.

Mais quoi ! Sans cet atroce caractère, la concurrence perdrait ses effets les plus heureux ; sans l’arbitraire dans l’échange et les alarmes du marché, le travail n’élèverait pas sans cesse fabrique contre fabrique, et, moins tenue en haleine, la production ne réaliserait aucune de ses merveilles. Après avoir fait surgir le mal de l’utilité même de son principe, la concurrence sait de nouveau tirer le bien du mal ; la destruction engendre l’utilité, l’équilibre se réalise par l’agitation, et l’on peut dire de la concurrence ce que Samson disait du lion qu’il avait terrassé : De comedente cibus exiit, et de forti dulcedo. Est-il rien, dans toutes les sphères de la science humaine, de plus surprenant que l’économie politique ?

Gardons-nous toutefois de céder à un mouvement d’ironie, qui ne serait de notre part qu’une injuste invective. C’est le propre de la science économique de trouver sa certitude dans ses contradictions, et tout le tort des économistes est de