de jongleries au moyen de ce dogme ou de cette fiction. J’ai vu les théistes de mon temps, et le blasphème a erré sur mes lèvres ; j’ai considéré la foi du peuple, de ce peuple que Brydaine appelait le meilleur ami de Dieu, et j’ai frémi de la négation qui allait m’échapper. Tourmenté de sentiments contraires, j’ai fait appel à la raison ; et c’est cette raison qui, parmi tant d’oppositions dogmatiques, me commande aujourd’hui l’hypothèse. Le dogmatisme a priori, s’appliquant à Dieu, est demeuré stérile : qui sait où l’hypothèse à son tour nous conduira ?…
Je dirai donc comment, étudiant dans le silence de mon cœur et loin de toute considération humaine, le mystère des révolutions sociales, Dieu, le grand inconnu, est devenu pour moi une hypothèse, je veux dire un instrument dialectique nécessaire.
Si je suis, à travers ses transformations successives, l’idée de Dieu, je trouve que cette idée est avant tout sociale ; j’entends par là qu’elle est bien plus un acte de foi de la pensée collective qu’une conception individuelle. Or, comment et à quelle occasion se produit cet acte de foi ? Il importe de le déterminer.
Au point de vue moral et intellectuel, la société, ou l’homme collectif, se distingue surtout de l’individu par la spontanéité d’action, autrement dite, l’instinct. Tandis que l’individu n’obéit ou s’imagine n’obéir qu’à des motifs dont il a pleine connaissance et auxquels il est maître de refuser ou d’accorder son adhésion ; tandis, en un mot, qu’il se juge libre, et d’autant plus libre qu’il se sait plus raisonneur et mieux instruit, la société est sujette à des entraînements où rien, au premier coup d’œil, ne laisse apercevoir de délibération et de projet, mais qui peu à peu semblent dirigés par un conseil supérieur, existant hors de la société, et la poussant avec une force irrésistible vers un terme inconnu. L’établissement des monarchies et des républiques, la distinction des castes, les