et auquel il était défendu à l’homme de toucher ! Pourquoi cette réprobation religieuse du travail, s’il est vrai, comme déjà la science économique le découvre, que le travail soit le père de l’amour et l’organe du bonheur ? pourquoi cette jalousie de notre avancement ? Mais si, comme il paraît assez maintenant, notre progrès dépend de nous seuls, à quoi sert d’adorer ce fantôme de divinité, et que nous veut-il encore par cette cohue d’inspirés qui nous poursuivent de leurs sermons ? Vous tous, chrétiens, protestants et orthodoxes, néo-révélateurs, charlatans et dupes, écoutez le premier verset de l’hymne humanitaire sur la miséricorde de Dieu : « À mesure que le principe de la division du travail reçoit une application complète, l’ouvrier devient plus faible, plus borné et plus dépendant ! L’art fait des progrès, l’artisan rétrograde ! » (Tocqueville, De la démocratie en Amérique.)
Gardons-nous donc d’anticiper sur nos conclusions, et de préjuger la dernière révélation de l’expérience. Dieu, quant à présent, nous apparaît moins favorable qu’adverse : bornons-nous à constater le fait.
De même donc que l’économie politique, à son point de départ, nous a fait entendre cette parole mystérieuse et sombre : À mesure que la production d’utilité augmente la vénalité diminue ; de même, arrivée à sa première station, elle nous avertit d’une voix terrible : À mesure que l’art fait des progrès l’artisan rétrograde.
Pour mieux fixer les idées, citons quelques exemples.
Quels sont, dans toute la métallurgie, les moins industrieux des salariés ? ceux-là précisément qu’on appelle mécaniciens. Depuis que l’outillage a été si admirablement perfectionné, un mécanicien n’est plus qu’un homme qui sait donner un coup de lime ou présenter une pièce au rabot : quant à la mécanique, c’est l’affaire des ingénieurs et des contre-maîtres. Un maréchal de campagne réunit quelquefois, par la seule nécessité de sa position, les talents divers de serrurier, de taillandier, d’armurier, de mécanicien, de charron, de vétérinaire : on serait étonné, dans le monde des beaux esprits, de la science qu’il y a sous le marteau de cet homme, à qui le peuple, toujours railleur, donne le sobriquet de brûle-fer. Un ouvrier du Creusot, qui a vu pen-