son manteau poétique, et se met à jouer avec ses périodes et ses hémistiches, on peut hardiment prononcer qu’une telle société est perdue. Tout en elle deviendra subtil, mesquin et faux ; elle n’aura pas même l’avantage de conserver dans sa splendeur cette langue dont elle s’est follement éprise ; au lieu de marcher dans la voie des génies de transition, des Tacite, des Thucydide, des Machiavel et des Montesquieu, on la verra tomber, d’une chute irrésistible, de la majesté de Cicéron aux subtilités de Sénèque, aux antithèses de saint Augustin, et aux calembours de saint Bernard.
Qu’on ne se fasse donc point illusion : du moment où l’esprit, d’abord tout entier dans le verbe, passe dans l’expérience et le travail, l’homme de lettres proprement dit n’est plus que la personnification chétive de la moindre de nos facultés ; et la littérature, rebut de l’industrie intelligente, ne trouve de débit que parmi les oisifs qu’elle amuse et les prolétaires qu’elle fascine, les jongleurs qui assiègent le pouvoir et les charlatans qui s’y défendent, les hiérophantes du droit divin qui embouchent le porte-voix du Sinaï, et les fanatiques de la souveraineté du peuple, dont les rares organes, réduits à essayer leur faconde tribunitienne sur des tombes en attendant qu’ils la fassent pleuvoir du haut des rostres, ne savent plus que donner au public des parodies de Gracchus et de Démosthène.
La société, dans tous ses pouvoirs, est donc d’accord de réduire indéfiniment la condition du travailleur parcellaire ; et l’expérience, confirmant partout la théorie, prouve que cet ouvrier est condamné à l’infortune dès le ventre de sa mère, sans qu’aucune réforme politique, aucune association d’intérêts, aucun effort ni de la charité publique ni de l’enseignement, puisse le secourir. Les divers spécifiques imaginés dans ces derniers temps, loin de pouvoir guérir cette plaie, serviraient plutôt à l’envenimer en l’irritant ; et tout ce que l’on a écrit à cet égard n’a fait que mettre en évidence le cercle vicieux de l’économie politique.
C’est ce que nous allons démontrer en peu de mots.