Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/144

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comme toutes les professions, il doit être et rester libre. C’est la communauté, c’est le socialisme, c’est la tendance révolutionnaire, dont les principaux agents ont été Robespierre, Napoléon, Louis XVIII et M. Guizot, qui ont jeté parmi nous ces idées funestes de centralisation et d’absorption de toute activité dans l’État. La presse est bien libre, et la plume des journalistes une marchandise ; la religion est bien libre aussi, et tout porteur de soutane, courte ou longue, qui sait à propos exciter la curiosité publique, peut rassembler autour de soi un auditoire. M. Lacordaire a ses dévots, M. Leroux ses apôtres, M. Buchez son couvent. Pourquoi donc l’enseignement aussi ne serait-il pas libre ? Si le droit de l’enseigné, comme celui de l’acheteur, est indubitable ; celui de l’enseignant, qui n’est qu’une variété du vendeur, en est le corrélatif : il est impossible de toucher à la liberté de l’enseignement sans faire violence à la plus précieuse des libertés, celle de la conscience. Et puis, ajoute M. Dunoyer, si l’État doit l’enseignement à tout le monde, on prétendra bientôt qu’il doit le travail, puis le logement, puis le couvert… Où cela mène-t-il ?

L’argumentation de M. Dunoyer est irréfutable : organiser l’enseignement, c’est donner à chaque citoyen la promesse d’un emploi libéral et d’un salaire confortable ; ces deux termes sont aussi intimement liés que la circulation artérielle et la circulation veineuse. Mais la théorie de M. Dunoyer implique aussi que le progrès n’est vrai que d’une certaine élite de l’humanité, et que pour les neuf dixièmes du genre humain, la barbarie est la condition perpétuelle. C’est même ce qui constitue, selon M. Dunoyer, l’essence des sociétés, laquelle se manifeste en trois temps, religion, hiérarchie et mendicité. En sorte que, dans ce système, qui est celui de Destutt de Tracy, de Montesquieu et de Platon, l’antimonie de la division, comme celle de la valeur, est insoluble.

Ce m’est un plaisir inexprimable, je l’avoue, de voir M. Chevalier, partisan de la centralisation de l’enseignement, combattu par M. Dunoyer, partisan de la liberté ; M. Dunoyer à son tour en opposition avec M. Guizot ; M. Guizot, le représentant des centralisateurs, en contradiction avec la charte, laquelle pose en principe la liberté ; la