jeté sa langue aux chiens, comme dit madame de Sévigné. Mais il faut qu’un professeur parle, parle, parle, non pas pour dire quelque chose, mais afin de ne pas rester muet. M. Rossi tourne trois fois autour de la question, puis il se couche : cela suffit à certaines gens pour croire qu’il a répondu.
Certes, c’est déjà un fâcheux symptôme pour une science, lorsqu’en se développant selon les principes qui lui sont propres, elle arrive à point nommé à être démentie par une autre ; comme, par exemple, lorsque les postulés de l’économie politique se trouvent contraire à ceux de la morale, je suppose que la morale, aussi bien que l’économie politique, soit une science. Qu’est-ce donc que la connaissance humaine, si toutes ses affirmations s’entre-détruisent, et à quoi faudra-t-il se fier ? Le travail parcellaire est une occupation d’esclave, mais c’est le seul véritablement fécond ; le travail non divisé n’appartient qu’à l’homme libre ; mais il ne rend pas ses frais. D’un côté l’économie politique nous dit, soyez riches ; de l’autre la morale, soyez libres ; et M. Rossi, parlant au nom des deux, nous avise en même temps que nous ne pouvons être ni libres ni riches, puisque ne l’être qu’à moitié, c’est ne l’être pas. La doctrine de M. Rossi, loin de satisfaire à cette double tendance de l’humanité, a donc l’inconvénient, pour n’être pas exclusive, de nous ôter tout : c’est, sous une autre forme, l’histoire du système représentatif.
Mais l’antagonisme est bien autrement profond encore que ne l’a vu M. Rossi. Car puisque, d’après l’expérience universelle d’accord sur ce point avec la théorie, le salaire se réduit en raison de la division du travail, il est clair qu’en nous soumettant à l’esclavage parcellaire nous n’obtiendrons pas pour cela la richesse ; nous n’aurons fait que changer des hommes en machines ; voyez la population ouvrière des deux mondes. Et puisque, d’autre part, hors de la division du travail la société retombe en barbarie, il est évident encore qu’en sacrifiant la richesse on n’arriverait pas à la liberté : voyez en Asie et en Afrique toutes les races nomades. Donc il y a nécessité, commandement absolu de par la science économique et de par la morale, de résoudre le problème de la division : or, où en sont les économistes ?