l’homme totalement dépourvu le désir du salut n’arrive point : il est si bas tombé, que l’ambition même s’est éteinte dans son cœur.
« De toutes les vertus privées, observe avec infiniment de raison M. Dunoyer, la plus nécessaire, celle qui nous donne successivement toutes les autres, c’est la passion du bien-être, c’est un désir violent de se tirer de la misère et de l’abjection, c’est cette émulation et cette dignité tout à la fois qui ne lui permettent pas de se contenter d’une situation inférieure… Mais ce sentiment, qui semble si naturel, est malheureusement beaucoup moins commun qu’on ne pense. Il est peu de reproches que la très-grande généralité des hommes méritent moins que celui que leur adressent les moralistes ascétiques d’être trop amis de leurs aises : on leur adresserait le reproche contraire avec infiniment plus de justice… Il y a même dans la nature des hommes cela de très-remarquable, que moins ils ont de lumières et de ressources, et moins ils éprouvent le désir d’en acquérir. Les sauvages les plus méprisables et les moins éclairés des hommes, sont précisément ceux à qui il est le plus difficile de donner des besoins, ceux à qui on inspire avec le plus de peine le désir de sortir de leur état ; de sorte qu’il faut que l’homme se soit déjà procuré par le travail un certain bien-être, avant qu’il éprouve avec quelque vivacité ce besoin d’améliorer sa condition, de perfectionner son existence, que j’appelle amour du bien-être. » (De la liberté du travail, tome II, p. 80.)
Ainsi la misère des classes laborieuses provient en général de leur manque de cœur et d’esprit, ou, comme l’a dit quelque part M. Passy, de la faiblesse, de l’inertie de leurs facultés morales et intellectuelles. Cette inertie tient à ce que lesdites classes laborieuses, encore à moitié sauvages, n’éprouvent pas avec une vivacité suffisante le désir d’améliorer leur condition : c’est ce que fait observer M. Dunoyer. Mais comme cette absence de désir est elle-même l’effet de la misère, il s’ensuit que la misère et l’apathie sont l’une à l’autre effet et cause, et que le prolétariat tourne dans le cercle.
Pour sortir de cet abîme, il faudrait ou du bien-être, c’est-à-dire une augmentation progressive de salaire ; ou de l’in-