Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/205

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trop philosophique, pour devenir exclusivement plaisir et jouissance, c’est-à-dire mysticité et sentiment. La faculté de travailler, qui distingue l’homme des brutes, a sa source dans les plus hautes profondeurs de la raison : comment deviendrait-elle en nous une simple manifestation de la vie, un acte voluptueux de notre sensibilité ?

Que si maintenant l’on se rejette dans l’hypothèse d’une transformation de notre nature, sans antécédents historiques, et dont rien jusqu’à ce jour n’aurait exprimé l’idée : ce n’est plus qu’un rêve inintelligible à ceux-là même qui le défendent, une interversion du progrès, un démenti donné aux lois les plus certaines de la science économique ; et pour toute réponse, je l’écarte de la discussion.

Restons dans les faits, puisque les faits seuls ont un sens et peuvent nous servir. La révolution française a été faite pour la liberté industrielle autant que pour la liberté politique : et que la France, en 1789, n’eût point aperçu toutes les conséquences du principe dont elle demandait la réalisation, disons-le hautement, elle ne s’est trompée ni dans ses vœux ni dans son attente. Quiconque essaierait de le nier perdrait à mes yeux droit à la critique : je ne disputerai jamais avec un adversaire qui poserait en principe l’erreur spontanée de vingt-cinq millions d’hommes.

Sur la fin du dix-huitième siècle, la France, fatiguée de privilèges, voulut à tout prix secouer la torpeur de ses corporations, et relever la dignité de l’ouvrier, en lui conférant la liberté. Partout il fallait émanciper le travail, stimuler le génie, rendre l’industrie responsable, en lui suscitant mille compétiteurs et en faisant peser sur lui seul les conséquences de sa mollesse, de son ignorance et de sa mauvaise foi. Dès avant 89 la France était mûre pour la transition ; ce fut Turgot qui eut la gloire d’opérer la première traversée.

Pourquoi donc, si la concurrence n’eût été un principe de l’économie sociale, un décret de la destinée, une nécessité de l’âme humaine, pourquoi, au lieu d’abolir corporations, maîtrises et jurandes, ne songea-t-on pas plutôt à réparer le tout ? Pourquoi, au lieu d’une révolution, ne se pas contenter d’une réforme ? Pourquoi cette négation, si une modification pouvait suffire ? D’autant plus que ce parti