Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/21

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J’ai certes moins d’inclination au merveilleux que bien des athées ; mais je ne puis m’empêcher de penser que les histoires de miracles, de prédictions, de charmes, etc., ne sont que des récits défigurés d’effets extraordinaires produits

    pour point de départ une fiction qui répugne à l’esprit autant quelle est étrangère à l’expérience. Quelle ironie !
      Les poids des atomes, dit M. Liebig, sont inégaux, parce que leurs volumes sont inégaux : toutefois, il est impossible de démontrer que les équivalents chimiques expriment le poids relatif des atomes, ou, en d’autres termes, que ce que nous regardons, d’après le calcul des équivalences atomiques, comme atome, n’est pas composé de plusieurs atomes. Tout cela revient à dire que plus de matière pèse davantage que moins de matière ; et puisque la pesanteur est l’essence de la matérialité, on en conclura rigoureusement, que la pesanteur étant partout identique à elle-même, il y a aussi identité dans la matière ; que la différence des corps simples provient uniquement, soit des différents modes des associations des atomes, soit des divers degrés de condensation moléculaire, et qu’au fond les atomes sont transmutables, ce que M. Liebig n’admet pas.
      « Nous n’avons, dit-il, aucun motif de croire qu’un élément se convertisse en un autre élément (p. 135). » Qu’en savez-vous ? Les motifs de croire à cette conversion peuvent très-bien exister sans que vous les aperceviez ; et il n’est pas sûr que votre intelligence soit à cet égard au niveau de votre expérience. Mais admettons l’argument négatif de M. Liebig, que s’ensuit-il ? Qu’à cinquante-six exceptions près, demeurées jusqu’à présent irréductibles, toute la matière est en métamorphose perpétuelle. Or, c’est une loi de notre raison de supposer dans la nature unité de substance aussi bien qu’unité de force et unité de système ; d’ailleurs, la série des composés chimiques et des corps simples eux-mêmes nous y porte invinciblement. Comment donc refuser de suivre jusqu’au bout la route ouverte par la science, et d’admettre une hypothèse qui est la conclusion fatale de l’expérience même ?
      De même que M. Liebig nie la transmutabilité des éléments, il repousse la formation spontanée des germes. Or, si l’on rejette la formation spontanée des germes, force est d’admettre leur éternité ; et comme, d’un autre côté, il est prouvé par la géologie que le globe n’est point habité de toute éternité, on est contraint d’admettre encore que, à un moment donné, les germes éternels des animaux et des plantes sont éclos, sans père ni mère, sur la surface du globe. Ainsi, la négation des générations spontanées ramène l’hypothèse de cette spontanéité : qu’est-ce que la métaphysique, tant honnie, offre de plus contradictoire ?
      Qu’on ne croie pas pour cela que je nie la valeur et la certitude des théories chimiques, ni que l’atomisme me semble chose absurde, ni que je partage l’opinion des épicuriens sur les générations spontanées. Tout ce que je veux faire remarquer, encore une fois, c’est qu’au point de vue des principes, la chimie a besoin d’une extrême tolérance, puisqu’elle n’est possible qu’à la condition d’un certain nombre de fictions qui répugnent à la raison et à l’expérience, et qui s’entre-détruisent.