Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/247

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fractaire à toute nouveauté. C’est, si j’ose employer cette comparaison, la matrice, stérile par elle-même, mais où viennent se déposer les germes créés par l’activité privée, qui, dans la société hermaphrodite, fait véritablement fonction d’organe mâle.

Mais la société ne se conserve qu’autant qu’elle se dérobe à la solidarité des spéculations particulières, et qu’elle laisse absolument toute innovation aux risques et périls des individus. On pourrait en quelques pages dresser la liste des inventions utiles. Les entreprises menées à bonne fin se comptent : aucun nombre n’exprimerait la multitude d’idées fausses et d’essais imprudents qui tous les jours éclosent dans les cerveaux humains. Il n’est pas un inventeur, pas un ouvrier, qui, pour une conception saine et juste, n’ait enfanté des milliers de chimères ; pas une intelligence qui, pour une étincelle de raison, ne jette des tourbillons de fumée. S’il était possible de faire deux parts de tous les produits de la raison humaine, et de mettre d’un côté les travaux utiles, de l’autre tout ce qui a été dépensé de force, d’esprit, de capitaux et de temps pour l’erreur, on verrait avec effroi que l’emport de ce compte sur le premier est peut-être d’un milliard pour cent. Que deviendrait la société, si elle devait acquitter ce passif et solder toutes ces banqueroutes ? Que deviendraient à leur tour la responsabilité et la dignité du travailleur, si, couvert de la garantie sociale, il pouvait, sans risques pour lui-même, se livrer à tous les caprices d’une imagination en délire, et jouer à chaque instant l’existence de l’humanité ?

De tout cela, je conclus que ce qui s’est pratiqué dès l’origine, se pratiquera jusqu’à la fin, et que sur ce point, comme sur tout autre, si nous devons viser à la conciliation, il est absurde de penser que rien de ce qui existe puisse être aboli. Car le monde des idées étant infini comme la nature, et les hommes sujets à spéculation, c’est-à-dire à erreur, aujourd’hui comme jamais, il y a constamment pour les individus excitation à spéculer, pour la société raison de se méfier et de se tenir en garde, par conséquent toujours matière à monopole.

Pour se tirer de ce dilemme, que propose-t-on ? Le rachat ?