Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/293

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§ II. — Antinomie de l’impôt.


J’entends quelquefois les partisans du statu quo prétendre que, quant au présent, nous jouissons d’assez de liberté, et que même, en dépit des déclamations contre l’ordre de choses, nous sommes au-dessous de nos institutions. Je suis, du moins en ce qui regarde l’impôt, tout à fait de l’avis de ces optimistes.

D’après la théorie que nous venons de voir, l’impôt est la réaction de la société contre le monopole. Les opinions à cet égard sont unanimes : peuple et législateur, économistes, journalistes et vaudevillistes, traduisant chacun dans sa langue la pensée sociale, publient à l’envi que l’impôt doit tomber sur les riches, frapper le superflu et les objets de luxe, et laisser francs ceux de première nécessité. Bref, on a fait de l’impôt une sorte de privilége pour les privilégiés : pensée mauvaise, puisque c’était par le fait reconnaître la légitimité du privilége, qui, dans aucun cas, et sous quelque forme qu’il se montre, ne vaut rien. Le peuple devait être puni de cette inconséquence égoïste : la Providence n’a pas manqué à sa mission.

Dès l’instant donc que l’impôt eut été conçu comme une revendication, il dut s’établir proportionnellement aux facultés, soit qu’il frappât le capital, soit qu’il affectât plus spécialement le revenu. Or, je ferai observer que la répartition au marc le franc de l’impôt étant précisément celle que l’on adopterait dans un pays où toutes les fortunes seraient égales, sauf les différences d’assiette et de recouvrement, le fisc est ce qu’il y a de plus libéral dans notre société, et que sur ce point nos mœurs sont effectivement en arrière de nos institutions. Mais comme avec les méchants les meilleures choses ne peuvent manquer d’être détestables, nous allons voir l’impôt égalitaire écraser le peuple, précisément parce que le peuple n’est point à sa hauteur.

Je suppose que le revenu brut de la France, pour chaque famille composée de quatre personnes, soit de 1,000 francs : c’est un peu plus que le chiffre de M. Chevalier, qui n’a trouvé que 63 centimes par jour et par tête, soit 919 francs