Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/348

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conquérir, mais à vaincre tout à la fois le pouvoir et le monopole, ce qui veut dire à faire surgir des entrailles du peuple, des profondeurs du travail, une autorité plus grande, un fait plus puissant qui enveloppe le capital et l’état, et qui les subjugue. Toute proposition de réforme qui ne satisfait point à cette condition n’est qu’un fléau de plus, une verge en sentinelle, virgam vigilantem, disait un prophète, qui menace le prolétariat.

Le couronnement de ce système est la religion. Je n’ai point à m’occuper ici de la valeur philosophique des opinions religieuses, à raconter leur histoire, à en chercher l’interprétation. Je me borne à considérer l’origine économique de la religion, le lien secret qui la rattache à la police, la place qu’elle occupe dans la série des manifestations sociales.

L’homme, désespérant de trouver l’équilibre de ses puissances, s’élance pour ainsi dire hors de soi et cherche dans l’infini cette harmonie souveraine, dont la réalisation est pour lui le plus haut degré de la raison, de la force et du bonheur. Ne pouvant s’accorder avec lui, il s’agenouille devant Dieu, et prie. Il prie, et sa prière, hymne chanté à Dieu, est un blasphème contre la société.

C’est de Dieu, se dit l’homme, que me vient l’autorité et le pouvoir : donc, obéissons à Dieu et au prince. Obedite Deo et principibus. — C’est de Dieu que me viennent la loi et la justice, Per me reges regnant, et potentes decernunt justitiam : respectons ce qu’a dit le législateur et le magistrat. C’est Dieu qui fait prospérer le travail, qui élève et renverse les fortunes : que sa volonté s’accomplisse ! Dominus dedit, Dominus abstulit, sit nomen Domini benedictum. C’est Dieu qui me châtie quand la misère me dévore, et que je souffre persécution pour la justice : recevons avec respect les fléaux dont sa miséricorde se sert pour nous purifier ; Humiliamini igitur sub potenti manu Dei. Cette vie, que Dieu m’a donnée, n’est qu’une épreuve qui me conduit au salut : fuyons le plaisir ; aimons, recherchons la douleur ; faisons nos délices de la pénitence. La tristesse qui vient de l’injustice est une grâce d’en haut ; heureux ceux qui pleurent ! Beati qui lugent !… Hæc est enim gratia, si quis sustinet tristitias, patiens injuste.

Il y a un siècle qu’un missionnaire, prêchant devant un