Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 1, Garnier, 1850.djvu/403

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l’homme et ce que l’homme conçoit comme Dieu, D’un côté, il appert que l’homme, par le syncrétisme de sa constitution et par la perfectibilité de sa nature, n’est point Dieu, ni ne saurait devenir Dieu ; de l’autre, il est sensible que Dieu, l’Être suprême, est l’antipode de l’humanité, le sommet ontologique dont elle s’écarte indéfiniment. Dieu et l’homme, s’étant pour ainsi dire distribué les facultés antagonistes de l’être, semblent jouer une partie dont le commandement de l’univers est le prix : à l’un la spontanéité, l’immédiateté, l’infaillibilité, l’éternité ; à l’autre l’imprévoyance, la déduction, la mobilité, le temps. Dieu et l’homme se tiennent en échec perpétuel et se fuient sans cesse l’un l’autre ; tandis que celui-ci marche sans se reposer jamais dans la réflexion et la théorie, le premier, par son incapacité providentielle, semble reculer dans la spontanéité de sa nature. Il y a donc contradiction entre l’humanité et son idéal, opposition entre l’homme et Dieu, opposition que la théologie chrétienne avait allégorisée et personnifiée sous le nom de Diable ou Satan, c’est-à-dire contradicteur, ennemi de Dieu et de l’homme.

Telle est l’antimonie fondamentale dont je trouve que les modernes critiques n’ont pas tenu compte, et qui, si on la néglige, devant tôt ou tard aboutir à le négation de l’homme-dieu, par conséquent à la négation de toute cette exégèse philosophique, rouvre la porte à la religion et au fanatisme.

Dieu, selon les humanistes, n’est autre que l’humanité même, le moi collectif auquel s’asservit comme à un maître invisible le moi individuel. Mais pourquoi cette vision singulière, si le portrait est fidèlement calqué sur l’original ? Pourquoi l’homme, qui dès sa naissance connaît directement et sans télescope son corps, son âme, son chef, son prêtre, sa patrie, son état, a-t-il dû se voir comme dans un miroir, et sans se connaître, sous l’image fantastique de Dieu ? Où est la nécessité de cette hallucination ? Qu’est-ce que cette conscience trouble et louche qui, après un certain temps, s’épure, se rectifie, et au lieu de se prendre pour autre, se saisit définitivement comme telle ? Pourquoi de la part de l’homme cette confession transcendentale de la société, lorsque la société elle-même était là, présente, visible, palpable,