l’insurrection de la pensée : or, la pensée d’un homme en place, c’est son traitement.
Votre maîtresse, belle, passionnée, artiste, n’est, je veux le croire, possédée que de vous. C’est-à-dire que votre âme, votre esprit, votre conscience, ont passé dans le plus charmant objet de luxe que la nature et l’art aient produit pour l’éternel supplice des humains fascinés. Je vous sépare de cette divine moitié de vous-même : c’est trop aujourd’hui de vouloir la justice et d’aimer une femme. Pour penser avec grandeur et netteté, il faut que l’homme dédouble sa nature et reste sous son hypostase masculine. Aussi bien, dans l’état où je vous ai mis, votre amante ne vous connaîtrait plus : souvenez-vous de la femme de Job.
De quelle religion êtes-vous ?… oubliez votre foi, et, par sagesse, devenez athée. — Quoi ! dites-vous, athée malgré notre hypothèse ! — non, mais à cause de notre hypothèse. Il faut avoir dès longtemps élevé sa pensée au-dessus des choses divines pour avoir le droit de supposer une personnalité au delà de l’homme, une vie au delà de cette vie. Du reste, n’ayez crainte de votre salut. Dieu ne se fâche point contre qui le méconnaît par raison, pas plus qu’il ne se soucie de qui l’adore sur parole ; et, dans l’état de votre conscience, le plus sûr pour vous est de ne rien penser de lui. Ne voyez-vous pas qu’il en est de la religion comme des gouvernements, dont le plus parfait serait la négation de tous ? Qu’aucune fantaisie politique ni religieuse ne retienne donc votre âme captive ; c’est l’unique moyen aujourd’hui de n’être ni dupe ni renégat. Ah ! disais-je au temps de mon enthousiaste jeunesse, n’entendrai-je point sonner les secondes vêpres de la république, et nos prêtres, vêtus de blanches tuniques, chanter sur le mode dorien l’hymne du retour : Change, ô dieu, notre servitude, comme le vent du désert en un souffle rafraîchissant !… Mais j’ai désespéré des républicains, et je ne connais plus ni religion ni prêtres.
Je voudrais encore, pour assurer tout à fait votre jugement, cher lecteur, vous rendre l’âme insensible à la pitié, supérieure à la vertu, indifférente au bonheur. Mais ce serait