Il résulte du rapport de valeur utile à valeur échangeable que si, par accident ou malveillance, l’échange était interdit à l’un des producteurs, ou si l’utilité de son produit venait à cesser tout à coup, avec ses magasins remplis il ne posséderait rien. Plus il aurait fait de sacrifices et déployé de vaillance à produire, plus profonde serait sa misère. — Si l’utilité du produit, au lieu de disparaître tout à fait, était seulement diminuée, chose qui peut arriver de cent façons : le travailleur, au lieu d’être frappé de déchéance et ruiné par une catastrophe subite, ne serait qu’appauvri ; obligé de livrer une quantité forte de sa valeur pour une quantité faible de valeurs étrangères, sa subsistance se trouverait réduite dans une proportion égale au déficit de sa vente, ce qui le conduirait par degrés de l’aisance à l’exténuation. Si enfin l’utilité du produit venait à croître, ou bien si la production en était rendue moins coûteuse, la balance de l’échange tournerait à l’avantage du producteur, dont le bien-être pourrait ainsi s’élever de la médiocrité laborieuse à l’oisive opulence. Ce phénomène de dépréciation et d’enrichissement se manifeste sous mille formes et par mille combinaisons : c’est en cela que consiste le jeu passionnel et intrigué du commerce et de l’industrie ; c’est cette loterie pleine d’embûches que les économistes croient devoir durer éternellement, et dont l’Académie des sciences morales et politiques demande, sans le savoir, la suppression, lorsque, sous les noms de profit et de salaire, elle demande que l’on concilie la valeur utile et la valeur en échange, c’est-à-dire qu’on trouve le moyen de rendre toutes les valeurs utiles également échangeables, et vice versa toutes les valeurs échangeables également utiles.
Les économistes ont très-bien fait ressortir le double caractère de la valeur : mais ce qu’ils n’ont pas rendu avec la même netteté, c’est sa nature contradictoire. Ici commence notre critique.
L’utilité est la condition nécessaire de l’échange ; mais ôtez l’échange, et l’utilité devient nulle : ces deux termes sont indissolublement liés. Où est-ce donc qu’apparaît la contradiction ?
Puisque tous tant que nous sommes nous ne subsistons