Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/171

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que cependant il ne peut s’empêcher d’admettre. Oui, dit-il, les corps existent : la manière dont se forme en nous la connaissance le prouve. Mais ces corps, ce non-moi, nous ne le connaissons pas en lui-même, et tout ce que l’expérience nous rapporte à cet égard, provient uniquement de notre fonds. C’est le fruit propre de notre esprit, qui, sollicité par ses aperceptions externes, applique aux choses ses propres lois, ses catégories, et puis s’imagine que cette forme qu’il donne à la nature est la forme de la nature. Oui, encore, nous devons croire à l’existence de Dieu, à une essence souveraine, qui serve de sanction à la morale et de complément à notre vie. Mais cette croyance à l’Être suprême n’est aussi qu’un postulat de notre raison, une hypothèse toute subjective, imaginée pour le besoin de notre ignorance, et à laquelle rien, hormis la nécessité de notre dialectique, ne rend témoignage.

À ces mots il s’éleva un long murmure, Les uns se résignèrent à croire ce qu’ils étaient condamnés à ne se démontrer jamais ; les autres prétendirent qu’il y a des motifs de croire supérieurs à la raison ; ceux-ci rejetaient une croyance qui n’avait pour elle que sa spontanéité, et dont l’objet pouvait se réduire à une simple formalité de la raison ; ceux-là accusaient ouvertement le philosophe critique d’inconséquence. Presque tous retombèrent, qui dans le spiritualisme, qui dans le matérialisme, qui dans le mysticisme, chacun tirant avantage, pour le système qui lui agréait le plus, des ? aveux de ce philosophe. Enfin un homme, au cœur magnanime, à l’âme passionnée, parvint à dominer le bruit et à ramener sur lui l’attention.

Cette philosophie, observa-t-il avec amertume, qui prétend avoir trouvé la clef de nos jugements, et se réclame de la raison pure, manque absolument d’unité et ne brille que par son incohérence. Quel est ce Dieu, que rien, dit-on, ne démontre, et qui cependant arrive juste pour le dénouement ? Qu’est-ce que cette objectivité qui n’a d’autre fonction que d’exciter la pensée, sans lui fournir de matériaux ? Si le moi, la nature et Dieu existent comme on paraît le croire, ils sont en rapports directs et réciproques, et dans ce cas nous pouvons les connaître : quels sont ces rapports ? Si, au contraire, ces rapports sont nuls, ou s’ils sont purement subjectifs, comme on le prétend encore, comment ose-t-on affirmer la réalité du non-moi, et l’existence de Dieu ? Le moi est essentiellement actif : il n’a donc besoin d’au-