Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/172

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cune excitation. Il possède les principes de la science, il a le savoir et le faire, il jouit de la puissance créatrice, et ce que vous appelez en lui l’expérience est une véritable éjaculation. Comme l’ouvrier qui, en faisant l’expérience d’une idée nouvelle, crée l’objet même de son expérience, et produit ainsi une valeur adéquate à sa propre pensée : ainsi dans l’univers le moi est le créateur du non-moi ; conséquemment il porte sa sanction en lui-même, et n’a que faire ni du témoignage de la nature, ni d’une intervention de la divinité. La nature n’est point une chimère, puisqu’elle est l’œuvre qui manifeste l’ouvrier ; le non-moi, aussi réel que le moi, est le produit et l’expression du moi ; et Dieu n’est plus que le rapport abstrait qui unit le moi et le non-moi en une phénoménalité identique : tout se tient, tout se lie et s’explique. L’expérience c’est la science écrite, la pensée manifestée du sujet, et retrouvée par le sujet.

Pour la première fois, la philosophie venait de se donner un système. Jusqu’à ce moment elle n’avait fait qu’osciller d’une contradiction à l’autre, procédant par négation et exclusion, c’est-à-dire supprimant ce qu’elle ne pouvait accorder. Tout au plus avait-elle essayé d’affirmer simultanément ses différentes thèses, mais sans espérer, sans pouvoir les résoudre. Ce pas était franchi : une nouvelle période d’investigation allait commencer.

Aux conclusions que nous venons d’entendre, repartit quelqu’un, il n’y aurait rien à dire, et le système qu’elles résument serait inattaquable, s’il était démontré, et c’est ce qui est toujours en question, que l’homme sait quelque chose, qu’il existe en lui une seule idée antérieurement à l’expérience. On concevrait alors que ce qu’il apprend il ne fait que le déduire ; ce qu’il expérimente, il le retrouve. Mais il n’est pas vrai que le moi ait par lui-même aucune idée ; il n’est pas vrai qu’il puisse créer la science à priori ; et je défie le préopinant de poser la première pierre de son édifice.

Voici, ajouta-t-il d’une voix inspirée, ce que m’ont appris la raison et l’expérience. Le rapport qui unit le moi et le non-moi n’est point, comme on l’a dit, un rapport de filiation et de causalité ; c’est un rapport de coexistence. Le moi et le non-moi existent l’un vis-à-vis de l’autre, égaux et inséparables, mais irréductibles, si ce n’est dans un principe supérieur, sujet-objet, qui les engendre tous deux, en un mot, dans l’absolu. Cet absolu est Dieu, créateur du moi et du non-moi, ou comme dit le symbole de Nicée, de toutes les