Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/173

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choses visibles et invisibles. Ce Dieu, cet absolu, embrasse dans son essence l’homme et la nature, la pensée et l’étendue : car lui seul a la plénitude de l’être, il est Tout. Les lois de la raison et les formes de la nature sont donc identiques : nulle pensée ne se manifeste qu’à l’aide d’une réalité ; et réciproquement nulle réalité ne se montre que pénétrée d’intelligence. Voilà d’où vient cet accord merveilleux de l’expérience et de la raison, qui vous a fait prendre tour à tour l’esprit comme une modification de la nature, et la nature comme une modification de l’esprit. Le moi et le non-moi, l’humanité et la nature, sont également subsistantes et réelles ; l’humanité et la nature sont contemporaines dans l’absolu ; la seule chose qui les distingue est que dans l’humanité l’absolu se développe avec conscience, tandis que dans la nature il se développe sans conscience. Ainsi la pensée et la matière sont inséparables et irréductibles : elles se manifestent, suivant les êtres, en proportions inégales, chacun des principes constitutifs de l’absolu se montrant dans les créatures tour à tour en infériorité ou en prédominance. C’est une évolution infinie, un dégagement perpétuel de formes, d’essences, de vies, de volontés, de puissances, de vertus, etc.

Un moment ce système parut enlever les suffrages. La fusion du moi et du non-moi dans l’absolu ; cette distinction et cette inséparabilité en même temps de la pensée et de l’être, qui constitue la création ; le dégagement incessant de l’esprit, et la progression des êtres sur une échelle sans fin, ravissaient tout le monde. Cet enthousiasme passa comme l’éclair. Un nouveau dialecticien se levant brusquement : Ce système, fit-il, n’a besoin que d’une chose, c’est de preuve. Le moi et le non-moi se confondent dans l’absolu : qu’est-ce que cet absolu ? quelle en est la nature ? quelle preuve pouvons-nous avoir de son existence, puisqu’il ne se manifeste pas, et qu’il est même impossible qu’en sa qualité d’absolu il se manifeste ?… La pensée et l’être, ajoute-t-on, identiques dans l’absolu, sont irréductibles dans la création, bien qu’inséparables et homologues : d’où sait-on cela ? Comment l’identité des lois n’implique-t-elle pas l’identité des essences, l’identité des réalités, puisqu’il est reconnu que la seule chose réelle pour nous, c’est la loi ? Et que sert de recourir à un absolu mystique et impénétrable, que sert de reproduire cette vieille chimère de Dieu, pour concilier deux termes qui, par l’identité avouée de leurs lois, sont tout con-