Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/123

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de la première somme qu’il aura retirée et placée, à la caisse d’épargnes, vive encore vingt ans : à soixante ans, il aura devant lui un capital de près de 7,000 fr., ses enfants élevés, et, pour peu qu’il veuille s’occuper encore, une vieillesse à l’abri du besoin.

Développons maintenant, sur une échelle plus vaste, cette intéressante hypothèse.

Supposons que dans une de nos grandes villes, Paris, Lyon, Rouen, Nantes, mille ouvriers, résolus de profiter des avantages de l’épargne et de l’assurance, forment entre eux une société de secours mutuel, dont le but principal serait de s’entr’aider dans les cas de maladie et de chômage, de manière à assurer à chacun, avec la subsistance, la continuité des dépôts. D’abord, avec le capital résultant de leurs dépôts réunis, ces ouvriers pourraient très-bien former entre eux une société d’assurances sur la vie, qui, leur offrant tous les avantages des sociétés de ce genre, leur réserverait en même temps les bénéfices de l’opération. Ce qui revient à dire qu’ils pourraient s’assurer eux-mêmes à beaucoup meilleur marché qu’ils ne trouveraient ailleurs, ou bien encore, qu’avec la même prime, ils assureraient une somme plus considérable.

Ainsi un ouvrier, en même temps qu’il aurait amassé, par quarante années d’imperceptibles économies, une somme de 4,000 fr., aurait pu assurer encore à sa famille, avec l’intérêt provenant de ses épargnes, une autre somme de 3,000 fr. : soit en tout 7,000 fr. qu’il laisserait à sa veuve s’il venait à mourir dans sa soixantième année, à un âge où l’homme est encore robuste et capable de travailler. Sept mille francs, c’est la dot de bien des demoiselles.

Cet exemple nous montre l’un des plus heureux emplois des fictions du crédit. Il est clair, en effet, que le montant des sommes assurées n’est qu’un capital fictif, en majeure partie irréalisable, si on le considère à un moment quelconque de la durée du contrat. Mais ce capital, fictif pour la société, n’en est pas moins une réalité pour chaque assuré, puisqu’il n’est remboursable que par fractions minimes, et successivement, à la mort de chaque assuré. L’assurance sur la vie est un analogue de la lettre de change et du papier de banque, qui, au lieu de s’appuyer sur des lingots, s’appuie sur des rentrées.

Supposons enfin qu’une société de travailleurs ainsi organisée se soutienne, se renouvelle et se développe pendant