Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on appelle logique n’est autre chose que cette détermination et cette organisation.

La logique, la société, c’est-à-dire toujours la raison : telle est donc la destinée ici-bas de notre espèce, considérée dans ses facultés génératrices, l’activité et l’intelligence. Ainsi l’humanité, par ses manifestations successives, est une logique vivante : c’est ce qui nous a fait dire, au commencement de cet ouvrage, que chaque fait économique est l’expression d’une loi de l’esprit, et que, comme il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait été auparavant dans l’expérience, il n’y a rien non plus dans la pratique sociale qui ne provienne d’une abstraction de la raison.

La société, comme la logique, a donc pour loi primordiale l’accord de la raison et de l’expérience. Accorder la raison et l’expérience, marcher à l’unisson de la théorie et de la pratique, voilà ce que se proposent également l’économiste et le philosophe ; voilà le premier et le dernier commandement imposé à tout homme qui agit et qui pense. Condition facile, sans doute, si on ne l’envisage que dans cette formule en apparence si simple ; effort prodigieux, sublime, si l’on considère tout ce qu’a fait l’homme dès le commencement, autant pour s’y soustraire que pour s’y conformer.

Mais qu’entendons-nous par cet accord de la raison et de l’expérience, ou, comme nous l’avons nommée, par cette organisation du sens commun, qui n’est elle-même que la logique ?

J’appelle d’abord sens commun le jugement en tant qu’il s’applique à des choses d’une évidence intuitive et immédiate, dont la perception n’exige ni déduction ni recherche. Le sens commun est plus que l’instinct : celui-ci n’a point conscience de ses déterminations, tandis que le sens commun sait ce qu’il veut et pourquoi il veut. Le sens commun n’est pas non plus la foi, le génie ou l’habitude, lesquels ne se jugent ni ne se connaissent : tandis que le sens commun se connaît et se juge, comme il connaît et juge tout ce qui l’environne.

Le sens commun est égal chez tous les hommes. C’est de lui que viennent aux idées le plus haut degré d’évidence et la plus parfaite certitude : ce n’est pas lui qui a suscité le doute philosophique. Le sens commun est à la fois raison et expérience synthétiquement unies : c’est, encore une fois, le jugement, mais sans dialectique ni calcul.