Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/17

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mais dans un pays où le peuple est tout, pourquoi sa voix reste-t-elle muette ? Pourquoi, dans les discussions économiques, le nom du peuple n’est-il jamais prononcé ? La raison, s’écrie-t-on, doit gouverner le monde ! Est-ce donc au nom de la raison que la nation française est condamnée aujourd’hui à une diète presque toute végétale ? qu’elle reste sans habits, sans chemises, sans chaussure, sans moyens d’échanges, au milieu des merveilles de l’intelligence ? que la pomme de terre remplace déjà le blé dans son hygiène ; que le travail enfin laisse de moins en moins, comme aujourd’hui en Angleterre, un excédant de production sur la consommation ? Est-ce la raison qui livre le marché, comme une proie, tantôt aux uns, tantôt aux autres, sans s’inquiéter jamais du prix des produits relativement au salaire !

» Depuis dix-huit ans, la nation française est privée de viande : chaque jour décime la part relative à chaque individu ; et à chaque réclamation on nous dit froidement que le prix de 55 fr. est nécessaire au producteur ! Nécessaire ! La privation d’aliments nécessaire à la fortune de quelques-uns ! (H. Dussard, Journal des Économistes, avril 1842.)

Certes, le tableau n’est pas flatté ; et c’est affaire aux économistes pour dire la vérité, toute la vérité, sur les misères sociales, lorsqu’ils s’y trouvent engagés par l’intérêt de leurs utopies. Mais, si le principe tant accusé de la protection n’est autre que le principe constitutif de l’économie politique, le monopole, qui se rencontre partout sur le chemin, dit M. Rossi ; si ce principe est la propriété elle-même, la propriété, cette religion du monopole : n’ai-je pas droit d’être scandalisé de l’inconséquence, pour ne pas dire de l’hypocrisie économiste ? Si le monopole est chose si odieuse, pourquoi ne le pas attaquer sur son piédestal ? Pourquoi l’encenser d’une main, et tirer contre lui l’épée de l’autre ? Pourquoi ce détour ? Toute exploitation exclusive, toute appropriation soit de la terre, soit des capitaux industriels, soit d’un procédé de fabrication, constitue un monopole : pourquoi ce monopole ne devient-il odieux que du jour où un monopole étranger, son rival, se présente pour lui faire concurrence ? Pourquoi le monopole est-il moins respectable du compatriote au compatriote, que de l’indigène à l’étranger ? Pourquoi, en France, le gouvernement n’ose-t-il attaquer directement la coalition houillère de la Loire, et invoque-t-il, contre les nationaux, les armes d’une sainte alliance ? Pourquoi cette intervention de l’ennemi du dehors, contre