Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/19

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quelles limites peuvent être assignées aux effets de leur colère ? Sommes-nous certains que notre richesse, notre grandeur politique, ou même notre constitution, sortiraient d’un pareil conflit ? »

Pas un mot de cette harangue qui ne retombe à plomb sur les abolitionnistes.

Quand on dira aux ouvriers que le monopole, dont on feint de les vouloir délivrer par l’abolition des douanes, devait recevoir une nouvelle énergie de cette abolition ; que ce monopole, bien autrement profond qu’on ne le voulait avouer, consiste, non pas seulement dans la fourniture exclusive du marché, mais aussi, mais surtout dans l’exploitation exclusive du sol et des machines, dans l’appropriation envahissante des capitaux, dans l’accaparement des produits, dans l’arbitraire des échanges ; quand on leur fera voir qu’ils ont été sacrifiés aux spéculations de l’agiotage, livrés, pieds et poings liés, à la rente du capital ; que de là sont issus les effets subversifs du travail parcellaire, l’oppression des machines, les soubresauts désastreux de la concurrence, et cette inique dérision de l’impôt ; quand on leur montrera ensuite comment l’abolition des droits protecteurs n’a fait qu’étendre le réseau du privilège, multiplier la dépossession, et coaliser contre le prolétariat les monopoles de tous les pays ; quand on leur racontera que la bourgeoisie électorale et dynastique, sous prétexte de liberté, a fait les plus grands efforts pour maintenir, consolider et préparer ce régime de mensonge et de rapine ; que des chaires ont été créées, des récompenses proposées et décernées, des sophistes gagés, des journaux stipendiés, la justice corrompue, la religion invoquée pour le défendre ; que ni la préméditation, ni l’hypocrisie, ni la violence, n’ont manqué à la tyrannie du capital : pense-t-on qu’à la fin ils ne se lèveront pas dans leur colère, et qu’une fois maîtres de la vengeance, ils se reposeront dans l’amnistie ?

« Nous regrettons, ajoutait M. Senior, de jeter ainsi l’alarme. Nous en déplorons la nécessité, et le rôle que nous jouons ne nous convient guère. Mais nous croyons fermement que les dangers que nous avons supposés nous menacent, et notre devoir est de faire connaître au public les bases de notre conviction. »

Et moi aussi je regrette de sonner l’alarme ; et ce métier d’accusateur que je fais est le dernier qui convenait à mon tempérament. Mais il faut que la vérité soit dite, et que justice se fasse ; et si je crois que la bourgeoisie ait mérité tous