Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/239

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comme toute religion encore, est soumise à la loi de développement. Ainsi on la voit tour à tour simple droit d’usage et d’habitation, comme chez les Germains et les Arabes ; possession patrimoniale, inaliénable à perpétuité, comme chez les Juifs ; féodale et emphytéotique, comme au moyen âge ; absolue et circulable à la volonté du propriétaire, telle à peu près que la connurent les Romains, et que nous l’avons aujourd’hui. Mais déjà la propriété, parvenue à son apogée, tourne vers son déclin : attaquée par la commandite, par les nouvelles lois d’hypothèque, par l’expropriation pour y cause d’utilité publique, par les innovations du crédit agricole, par les nouvelles théories sur le louage[1], etc., le moment approche où elle ne sera bientôt plus que l’ombre d’elle-même.

À ces traits généraux, on ne peut méconnaître le caractère religieux de la propriété.

Ce caractère mystique et progressif se montre surtout dans l’illusion singulière que la propriété cause à ses propres théoriciens, et qui consiste en ce que plus on développe, réforme et améliore la propriété, plus on en avance la ruine, et qu’on s’imagine toujours y croire davantage alors qu’en réalité l’on y croit moins : illusion qui, du reste, est commune à toutes les religions.

C’est ainsi que le christianisme de saint Paul, le plus philosophe des apôtres, n’est déjà plus le christianisme de saint Jean ; la théologie de Thomas d’Aquin n’est pas la même que celle d’Augustin et d’Athanase ; et le catholicisme de MM. Bautain, Buchez et Lacordaire n’est point le catholicisme de Bourdaloue et de Bossuet. La religion, pour les mystiques modernes, qui s’imaginent agrandir les vieilles idées alors qu’ils les étranglent, n’est presque plus que la fraternité humaine, l’unité des peuples, la solidarité et l’harmonie dans la gestion du globe. La religion, c’est surtout l’amour, toujours l’amour. Pascal se fût scandalisé des aspirations érotiques des dévots de notre temps. Dieu, au dix-neuvième siècle, c’est l'amour le plus pur ; la religion, c’est l’amour ; la morale, encore l’amour. Tandis que pour Bossuet le dogme était tout, parce que du dogme devaient découler la charité et les œuvres de charité ; la charité est mise par les modernes au

  1. Voir Troplong, Contrat de louage, tome Ier, où il soutient, seul contre tous les jurisconsultes sus devanciers et contemporains, et avec raison, selon nous, que dans le louage le preneur acquiert un droit dans la chose, et que le bail donne lieu à une action réelle et personnelle en même temps.