Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/24

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geait ; si je pouvais, sans compromettre ma liberté et mon existence, accepter ces offres avantageuses ; si du moins j’étais sûr du bénéfice promis à mes descendants, croit-on que je résistasse ?…

Une question d’opportunité, c’est-à-dire, comme on le verra bientôt, une question d’éternité, domine tout le débat, et sépare les partisans de la protection de ceux du libre commerce. Les économistes, si dédaigneux des faiseurs d’utopies, procèdent ici comme les faiseurs d’utopies : ils demandent un grand sacrifice, une subversion immense, des misères inouïes, en échange d’une éventualité de bien-être incertaine, irréalisable de leur aveu immédiatement, ce qui, pour la société, signifie éternellement. Et ils s’indignent que l’on n’ajoute aucune foi à leurs calculs ! Pourquoi donc n’abordent-ils pas plus résolument la difficulté ? Pourquoi n’essaient-ils pas de découvrir au mal qui résulterait de l’abolition de certains monopoles (comme ils l’ont entrepris, et avec quel succès ! pour la division du travail, les machines, la concurrence et l’impôt), sinon des compensations, au moins des palliatifs ? Allons, messieurs, entrez en matière, car jusqu’à présent vous vous êtes tenus au vague de l’annonce : montrez comment la théorie du libre commerce est applicable, c’est-à-dire bienfaisante et rationnelle, malgré la répugnance des gouvernements et des peuples, malgré l’universalité et la permanence des inconvénients. Que faudrait-il, à votre avis, pour qu’elle fût réalisée partout, cette théorie, sans que la réalisation occasionnât ces immenses désastres dont vous parliez tout à l’heure, sans qu’elle appesantît sur le prolétariat le joug du monopole, sans qu’elle compromît la liberté, l’égalité, l’individualité des nations ? Quel serait le nouveau droit entre les peuples ? Quels rapports à créer entre le capitaliste et l’ouvrier ? Quelle intervention du gouvernement dans le travail ? Toutes ces recherches vous appartiennent ; toutes ces explications, vous nous les devez. Peut-être, par la tendance de votre théorie, êtes-vous vous-mêmes, sans vous en douter, une nouvelle secte de socialistes : ne craignez point les récriminations. Le public est trop sûr de vos intentions conservatrices, et, quant aux socialistes, ils seraient trop heureux de vous voir dans leurs rangs pour vous faire cette chicane.

Mais que fais-je ? Il est peu généreux de provoquer des raisonneurs d’autant d’innocence que les économistes. Montrons-leur plutôt, chose nouvelle pour la plupart, qu’ils sont