Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/27

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nous les donner pour rien. On ne trafique pas avec des gens qui n’ont rien à échanger… Si la France, victorieuse de sa perfide voisine, la forçait de travailler pour elle ; si l’Angleterre, pour payer son tribut, nous expédiait gratuitement chaque année ce qu’elle nous fait, selon nous, payer encore trop cher, les prohibitionnistes, pour être conséquents, devaient crier à la trahison. Il y a, nous l’avouons, des raisonnements trop forts pour nous ; nos adversaires manient une arme à deux tranchants. Que l’Angleterre nous prenne, comme en 1815, ils crient à la ruine ; qu’elle nous donne, comme nous en faisons l’hypothèse, ils crient plus fort encore. » (Journal des Économistes, août 1842.)

Et dans les numéros du même journal, novembre 1844, avril, juin, juillet 1845, un économiste d’un remarquable talent, plein de la philanthropie la plus généreuse, dirigé, ce qui paraîtra surprenant, par les idées les plus égalitaires, un homme que je louerais davantage, s’il n’avait dû sa subite célébrité à une thèse inadmissible, se chargea de prouver, aux applaudissements de tout le public économiste,

Que niveler les conditions du travail, c’est attaquer l’échange dans son principe ;

Qu’il n’est pas vrai que le travail d’un pays puisse être étouffé par la concurrence des contrées plus favorisées ;

Que cela fût-il exact, les droits protecteurs n’égalisent pas les conditions de production ;

Que la liberté nivelle ces conditions autant qu’elles peuvent l’être ;

Que ce sont les pays les moins favorisés qui gagnent le plus dans les échanges ;

Que la Ligue et Robert Peel ont bien mérité de l’humanité par l’exemple qu’ils donnent aux autres nations ;

Et que tous ceux qui prétendent et soutiennent le contraire sont des sisyphistes.

Certes M. Bastiat, des Landes, peut se flatter d’avoir, par l’audace et l’aplomb de sa polémique, émerveillé les économistes eux-mêmes, et fixé peut-être ceux dont les idées sur le libre commerce étaient encore flottantes. Quant à moi, j’avoue que je n’ai rencontré nulle part de sophismes plus subtils, plus serrés, plus consciencieux, et d’un air de vérité plus franche, que les Sophismes économiques de M. Bastiat.

J’ose dire, cependant, que si les économistes de notre temps cultivaient moins l’improvisation et un peu plus la logique, ils eussent facilement aperçu le vice des arguments