Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/339

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« Que vient-on nous parler, dit en se redressant M. Rossi, des vices de nos institutions, de l’excessive inégalité des conditions, de la fécondité inépuisable du sol, des vides immenses qui restent sur la face du globe, et que les émigrations peuvent remplir ? Il est évident que tout cela ne touche pas au fond de la question ; car, après que nous aurons fait sur tous ces points les plus larges concessions, qu’en résultera-t-il ? ceci seulement que, dans plus d’un pays, d’autres causes de souffrance et de malheur viennent s’ajouter à la coupable imprévoyance des pères de famille, et que les populations excessives auraient pu souvent trouver un soulagement temporaire sous un gouvernement meilleur, dans une organisation sociale plus équitable, dans un commerce plus actif et plus libre, ou dans un large système d’émigrations. En est-il moins vrai que, si l’instinct de la reproduction n’était jamais refréné par la prudence et par une moralité haute et difficile, toutes ces ressources seraient enfin épuisées, et qu’alors le mal serait d’autant plus sensible qu’il n’y aurait plus ni remèdes temporaires pour le soulager, ni palliatif pour l’adoucir ? »

Tous les économistes se rallient à cette pensée de M. Rossi. « Nous regardons, dit le dernier éditeur de Malthus, cette observation comme capitale. Avis aux socialistes de toutes les nuances. Plus on perfectionnera l’état social, et plus l’excès de la population est à craindre, à moins qu’on ne renverse l’assertion de Malthus. »

Mais vous, qui nous promettez l’assistance du ciel, à la condition d’être sages, commencez donc par pratiquer vos maximes. La société est inharmonique, la concession que vous venez de faire le suppose. Rendez-lui d’abord l’équilibre, et, sans craindre de faire une œuvre inutile, attendez ce qui arrivera. Vous n’êtes occupés que d’une conjecture tout à fait hypothétique, et dont nul ne peut affirmer qu’elle se présente jamais, celle où la population surabonderait sur le globe ; et vous détournez sans cesse les yeux du mal réel qui vous décime. Commencez, vous dis-je, par guérir le présent, et si votre foi à la Providence n’est point une moquerie, prenez un peu moins souci de l’avenir. L’humanité, dites-vous, n’aura obtenu par là qu’un soulagement temporaire. Qui vous l’assure ? Comment savez-vous que, l’équilibre établi dans le travail, les conditions de développement de l’humanité, en population et en richesse, ne seront pas changées ?