Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/361

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pour chaque individu, sauf les privilèges et perturbations, qui restent à déduire.

Ce qui nous fait illusion à cet égard, ce sont les oscillations de la valeur causées par l’introduction des machines, oscillations qui, nous apportant toujours après une perturbation momentanée un surcroît de bien-être, nous semblent autant de pas faits vers le repos, tandis qu’elles n’expriment en réalité que l’accumulation de notre besogne.

Qu’est-ce, en effet, qu’une machine ? une méthode abrégée de travail. Donc, chaque fois qu’une machine est inventée, c’est qu’il y avait excès de besoin, imminence de misère. Le travail ne fournissait plus ; la machine vient, rétablit l’équilibre, souvent même procure un temps de relâche. À ce point de vue déjà, la machine prouve l’aggravation du labeur.

Mais qu’est-ce encore une fois qu’une machine (j’appelle ici toute l’attention du lecteur) ? un centre particulier d’action qui a sa police, son budget, son personnel, ses frais, etc., et auquel, directement ou indirectement, se subordonnent tous les autres centres de production, vis-à-vis chacun desquels il est à son tour en rapport subalterne. Ainsi une machine, en même temps qu’elle est une source de bénéfices, est un foyer de dépense, un principe de servitude. Car, quelque machine que l’industrie fasse mouvoir, le moteur est toujours l’homme : les engins qu’il construit n’ont de puissance que celle qu’il leur communique, et qu’il est forcé de renouveler continuellement ; et plus il s’entoure d’instruments, plus il se crée de surveillance et de peine. Que le conducteur, que le chauffeur abandonnent un instant la locomotive, la merveilleuse voiture, dont un esprit, comme dit le prophète, semble animer les roues, spiritus erat in rotis, s’arrête à l’instant. Que le mécanicien cesse un seul jour d’en visiter les pièces, elle ne durera pas six semaines ; que le mineur cesse de lui fournir le combustible, jamais elle ne remuera.

Or à quoi tendent, en définitive, ces efforts inouïs ? pourquoi tout ce dépoiement de génie, ce travail de géant ? Pour obtenir de la terre les richesses qu’elle nous refuse, pour rendre fécondes des régions auparavant stériles, et mettre en valeur des terrains de la trente-sixième et de la soixante-douzième qualité. Un établissement industriel est un bail à cheptel pour l’exploitation d’un désert…

Donc, si nous voulons, à chaque invention nouvelle, à chaque défrichement, nous maintenir au degré du bien-être