Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/385

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rance contre les accidents imprévus, et mille autres détails qui sont l’écueil du droit et le tourment des jurisconsultes. Cet homme, dis-je, dans un papier grand comme la main, va vous révéler un ordre infini, mélange inconcevable d’empirisme et de raison pure, et que tout le génie de l’homme, assisté de l’expérience de l’univers, eût été impuissant à découvrir, si l’homme n’était sorti de l’existence individuelle pour entrer dans la vie collective.

En effet, ces idées de travail, de valeur, d’échange, de circulation, de consommation, de responsabilité, de propriété, de solidarité, d’association, etc., où en sont les types ? qui en a fourni les exemplaires ? quel est ce monde moitié matériel, moitié intelligible : moitié nécessité, moitié fiction ? Qu’est-ce que cette force, appelée travail, qui nous entraîne avec d’autant plus de certitude que nous nous en croyons plus libres ? Qu’est-ce que cette vie collective, qui nous brûle d’une inextinguible flamme, cause de nos joies et de nos tourments ? Tous tant que nous vivons, nous sommes, sans nous en apercevoir, et selon les mesures de nos facultés et la spécialité de notre industrie, des ressorts pensants, des roues pensantes, des pignons pensants, des poids pensants, etc., d’une immense machine qui pense aussi et qui va toute seule. La science, disions-nous, a pour principe l’accord de la raison et de l’expérience ; mais elle ne crée ni l’une ni l’autre. Et voici au contraire qu’une science nous apparaît, dans laquelle rien ne nous est donné, à priori, ni par l’expérience ni par la raison ; une science où l’humanité tire tout d’elle-même, noumènes et phénomènes, universaux et catégories, faits et idées ; une science enfin qui, au lieu de consister simplement, comme toute autre science, en une description raisonnée de la réalité, est la création même de la réalité et de la raison !

Ainsi l’auteur de la raison économique, c’est l’homme ; le créateur de la matière économique, c’est l’homme ; l’architecte du système économique, c’est encore l’homme. Après avoir produit la raison et l’expérience sociale, l’humanité procède à la construction de la science sociale de la même manière qu’à la construction des sciences naturelles ; elle accorde ensemble la raison et l’expérience qu’elle s’est elle-même données, et par le plus inconcevable prodige, quand tout en elle tient de l’utopie, les principes et les actes, elle ne parvient à se connaître qu’en donnant l’exclusion à l’utopie.