Page:Proudhon - Systeme des contradictions economiques Tome 2, Garnier, 1850.djvu/39

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quière, s’il se fût mis à développer cette thèse magnifique, si digne de son talent oratoire : Les influences mercantiles sont la mort aux nationalités, dont elles ne laissent subsister que le squelette !

M. Bastiat, qu’il me permette de lui en exprimer ici toute ma reconnaissance, est pénétré du socialisme le plus pur : il aime par-dessus tout son pays ; il professe hautement la doctrine de l’égalité. S’il a épousé avec tant de dévouement la cause du libre commerce ; s’il s’est fait le missionnaire des idées de la Ligue, c’est qu’il a été séduit, comme tant d’autres, par ce grand mot de liberté, qui par lui-même n’exprimant qu’une spontanéité vague et indéfinie, convient merveilleusement à tous les fanatismes, ennemis éternels de la vérité et de la justice. Sans doute la liberté, pour les individus comme pour les nations, implique égalité ; mais c’est seulement lorsqu’elle s’est définie, lorsqu’elle a reçu de la loi sa forme et sa puissance, et non point tant qu’elle reste abandonnée à elle-même, dépourvue de toute détermination, comme elle existe chez le sauvage. La liberté, ainsi entendue, n’est, comme la concurrence des économistes, qu’un principe contradictoire, une funeste équivoque : nous allons en acquérir une nouvelle preuve.

« En définitive, observe M. Bastiat, ce n’est pas le don gratuit de la nature que nous payons dans l’échange, c’est le travail humain. J’appelle chez moi un ouvrier : il arrive avec une scie. Je paye sa journée 2 fr. ; il me fait vingt-cinq planches. Si la scie n’eût pas été inventée, il n’en aurait peut-être pas fait une seule, et je ne lui aurais pas moins payé sa journée. L’utilité produite par la scie est donc pour moi un don gratuit de la nature, ou plutôt c’est une portion de l’héritage que j’ai reçu en commun, avec tous mes frères, de l’intelligence de mes ancêtres… Donc, la rémunération ne se proportionne pas aux utilités que le producteur porte sur le marché, mais à son travail. Donc enfin le libre commerce, ayant pour objet de faire jouir tous les peuples des utilités gratuites de la nature, ne peut jamais porter préjudice à aucun. »

J’ignore ce que MM. Bossi, Chevalier, Blanqui, Dunoyer, Fix, et autres défenseurs des pures traditions économiques, ont pensé de cette doctrine de M. Bastiat, qui, écartant d’un seul coup et mettant au néant tous les monopoles, fait du travail l’unique et souverain arbitre de la valeur. Ce n’est pas moi, on le pense bien, qui attaquerai la proposition de